La « critique de l’industrie du luxe » n’existe pas. Le moteur de recherche google donne sur cette expression seulement deux occurrences, nullement concluantes. Les syndicats condamnent parfois la richesse, mais jamais l’industrie du luxe. Les politiques valorisent l’industrie du luxe, un si gros exportateur de notre savoir-faire. Le ministre Arnaud Montebourg a simplement rappelé que le secteur du luxe « avait besoin d’être conforté dans ses excellents résultats ». Des médias comme LE MONDE vivent de l’industrie du luxe par annonces publicitaires interposées. Le luxe est donc intouchable. La preuve, cet article* de Sophie Chassat :
« Le luxe, en tant qu’incarnation par excellence du « superflu », symbolise ce qui fait le propre de l’homme… Emblème de la dépense inutile, du surplus pour rien, le luxe serait ainsi un des moyens privilégiés par lesquels l’homme réaffirme qu’il n’est pas un animal comme les autres… Marcel Mauss en avait conclu, dans son Essai sur le don (1924), que le goût de la dépense inutile constituait un véritable invariant anthropologique… Le prix très élevé des produits de luxe n’est pas un obstacle à la « consommation ostentatoire », bien au contraire… Dans ces conditions, le luxe connaîtra-t-il jamais la crise ? »
Cette interrogation par laquelle se termine cet article demande une réponse. D’abord précisons que le luxe n’a pas toujours existé. Dans la plupart des sociétés premières, on se gardait bien d’accumuler un surplus et la différenciation sociale se faisait sur des détails, pas sur la différence de richesses. Nous conseillons à Sophie Chassat de lire le livre ethnologique « âge d’or, âge d’abondance » : c’est parce qu’on limite ses besoins qu’on arrive à atteindre un sentiment de plénitude, pas en achetant le dernier sac à la mode qui, en se démodant sera source d’insatisfaction. Pour la consommation ostentatoire, Sophie se réfère à Thorstein Veblen. Or Veblen dénonce ce penchant social : « La conscience économique ne se satisfait pas de voir un individu faire bonne figure en se comparant à un autre, en rivalisant avec lui ; elle ne peut donc approuver la concurrence dépensière. La règle du désœuvrement exige que l’on soit futile, rigoureusement et complètement ; l’instinct artisan veut que l’on soit utile et agissant. » Tout superflu demande un travail inutile. La production et la consommation de produits de luxe détournent le travail et le capital de tâches plus bénéfiques socialement ; elle empêche souvent une utilisation plus judicieuse des terres ; et elle gaspille les matières premières qui pourraient être employées à meilleur escient. En conséquence, cela tend donc à augmenter le prix des biens de première nécessité et renforce la misère des plus démunis…
En fait le goût du luxe n’est pas une constante psychologique, mais une construction par la publicité et le mode de vie des riches dans une société qui épuise la planète. Cela aura une fin avec l’augmentation du prix des ressources naturelles. Nous serons obligés, sauf à admettre la perpétuation de l’esclavage par une élite, à économiser collectivement en situation de rareté. Voici le pronostic que faisait déjà en 1936 Richard B.Gregg : « Ceux qui travaillent dans le secteur du luxe sont, lors d’une dépression économique, dans la position la plus précaire qui soit, puisque dans ce cas les dépenses consacrées au superflu sont les premières à éliminer. Moins il y aura de personnes impliquées dans l’industrie du luxe, plus la population sera protégée. »**
* Le Monde.fr | 16.04.2013, La barbe ne fait pas le philosophe… le succès du luxe, si !
** La valeur de la simplicité volontaire de Richard B.Gregg (l’édition originale de 1936, The value of Voluntary Simplicity, a été traduit et édité en français par les éditions « Le pas de côté » en 2012)