les fondamentaux de tout écologiste quel qu’il soit

En février 1975, j’ai eu la chance d’assister pendant un week-end à Londres à une réunion internationale de Friends of the Earth, où se rencontraient pour la première fois des écologistes de plusieurs pays. J’ai gardé de cette rencontre une très forte impression, qui m’a beaucoup fait réfléchir par la suite : tous ces gens avaient la même vision du monde, partageaient les mêmes valeurs alors qu’ils n’avaient pratiquement aucune référence écrite commune. Certains avaient lu Illich, d’autres simplement Rachel Carson (Le printemps silencieux) ou le rapport du Club de Rome, ouvrages fort divers et n’offrant chacun qu’une vue partielle de la planète. Ces nouveaux croisés n’avaient pas de bible et pourtant étaient porteurs d’un même projet. Je me suis dit que cet accord parfait devait reposer sur quelques principes, probablement peu nombreux,  pour que le consensus soit si fort. Dans le train qui me ramenait à Lyon, j’en ai trouvé trois et j’en suis resté là depuis.

[1] La première constatation, celle qui a déclenché le mouvement écologiste dans les années 70, c’est que nos ressources sont finies et que nous nous comportons comme si elles étaient illimitées. La croissance de notre population, le développement aveugle de notre économie se heurtent ou vont se heurter bientôt à l’épuisement des ressources naturelles (forêts, sols cultivables, pétrole, minerais, eau, air…)

[2] La deuxième c’est que la nature est belle, et aussi efficace, et stable par sa complexité et que l’action de notre espèce sur cet environnement naturel est largement négative. Nous détruisons de plus en plus d’espèces, nous simplifions ou empoisonnons les écosystèmes et fabriquons des déserts.

[3] La troisième c’est qu’alors que l’influence de notre espèce sur la planète n’a jamais été aussi grande, le contrôle de chaque individu sur son environnement, naturel ou social, n’a jamais été aussi dérisoire. Notre civilisation urbaine et industrielle développe des outils qui ne sont pas conviviaux. La concentration et le gigantisme rendent les outils complexes, leur gestion exige des spécialistes (les technocrates !).

Le point [1] est le plus spectaculaire, c’est lui qui donne une teinture messianique aux propos d’un homme comme Yves Cochet. La croissance démographique, largement incontrôlable, et la croissance industrielle qui l’est à peine davantage, vont se heurter à des limites physiques. En ce sens le discours écologiste a une ambition scientifique, il est prédictif. Cela rappelle le marxisme et il est possible que, comme les prédictions du marxisme, cette prophétie d’une crise écologique soit porteuse de sa propre négation. On peut espérer qu’à force d’entendre la sonnette d’alarme, les responsables réagissent à temps pour limiter les dégâts, comme les patrons des pays les plus industrialisés ont su augmenter les salaires des ouvriers et éviter la révolution. Même s’ils le veulent, il n’est pas certain cependant que nos technocrates puissent éviter la crise écologique ; personne n’a encore inventé un système politique capable de préparer par des sacrifices les échéances de la génération suivante.

Le point [2] est celui qui permet le plus de nuances dans la sensibilité écologiste. Il y a tout un gradient entre les misanthropes qui verraient assez bien une planète Terre dans l’état où elle était il y a 10 000 ans, et les militant-es d’extrême gauche qui se veulent écologistes et qui prennent un air gêné dès que l’on parle de surpopulation. Certain-es préfèrent les forêts, d’autres les jardins, des pionniers ont réalisé des jardins-forêts (3), d’autres n’aiment ni les forêts ni le jardinage. Il a fallu que j’aie des enfants pour réaliser que des gens normaux et aimables pouvaient se sentir bien dans un parking en 4e sous-sol.

La convivialité au sens d’Illich est le point [3] de notre trilogie, la racine qui attache l’écologisme au vieux fond libertaire. J’ai tendance à penser que la convivialité de l’outil est une notion forte et durable et qu’elle reviendra sur le devant de la scène. Ici les écologistes ne sont pas automatiquement contre le changement : ils souhaitent choisir parmi les progrès et les consommations possibles. Plutôt la télécommunication que le transport, plutôt la photopile que la centrale nucléaire. Plutôt le pouvoir à l’individu, aux communes, voire aux régions, qu’à l’Etat-nation.

Texte (résumé) de Ghislain Nicaise

Paru à l’origine sous le titre Ecologie et fascisme dans le n°12 (nov. 1991) du Sauvage

Ghislain NICAISE a été le coordonnateur en 1974 de la campagne de René Dumont pour la région Rhône-Alpes