Quelle position les Etats membres de l’UE doivent-ils adopter vis-à-vis des perturbateurs endocriniens ? Certains membres de la communauté scientifique accusent plusieurs de leurs pairs de manœuvrer en faveur des intérêts industriels. La bataille a débuté avec une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues critiquent les mesures en discussion à Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées ». Les signataires contestent notamment que ces molécules puissent avoir des conséquences délétères à des doses très faibles. Le texte a immédiatement provoqué la suspicion : « Le problème des « intentions dissimulées » s’est accentué en même temps que la recherche académique dépend de plus en plus du soutien financier de l’industrie. La science est devenue l’enjeu d’une guerre dont la plupart des batailles se jouent derrière la scène. » Surtout, les répliques adressées aux dix-huit chercheurs s’indignent de ce que ces derniers n’ont pas divulgué – comme d’usage dans les revues scientifiques – leurs liens d’intérêt avec les industriels potentiellement concernés par une nouvelle réglementation. Fin septembre, une enquête de l’agence Environmental Health News (EHN) a révélé que dix-sept des dix-huit auteurs entretenaient des relations financières avec « des industriels de la chimie, de la pharmacie, des cosmétiques, du tabac, des pesticides ou des biotechnologies ». LA SCIENCE EST DEVENUE L’ENJEU D’UNE GUERRE*.
Dans son livre La fabrique du mensonge (comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger), Stéphane Foucart nous éclaire davantage : « La science sait avec certitude (depuis 1991) que les composés organochlorés, du fait de leur persistance, sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux… Les effets se manifestent surtout sur la génération suivante, et non sur les parents exposés… Les humains sont également affectés par ces composés… L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié en mars 2013 son rapport sur les perturbateurs endocriniens… Sur les 18 experts choisis par l’EFSA, 8 ont des liens contractuels ou scientifiques avec l’industrie et notamment l’ILSI, Nestlé, Unilever… Ce n’est pas tout : 11 des 18 experts n’ont aucune publication à leur actif sur la question des perturbateurs endocriniens… La science est un processus collectif qui repose sur la prudence, le doute. L’industrie capitalise sur ces caractéristiques : le doute peut être maintenu ad aeternam. En s’enfermant dans de faux débats scientifiques, il devient facile de ne prendre qu’avec beaucoup de retard la moindre décision. Bon nombre de catastrophes sanitaires ou environnementales ont été ou sont rendues possibles par cette instrumentalisation de la science. Il y a, comme cause sous-jacente au défaut de régulation du système technique, la mise en cause des connaissances scientifiques par les industries. »
La science permet l’élaboration de la technique, la technique offre de nouveaux outils à la science. Mais il faut rappeler une évidence. La science n’est pas la technique, le projet scientifique est de comprendre le monde. Le projet technique est d’en tirer parti. D’où les conflits d’intérêt…
* LE MONDE du 5 octobre 2013, Les perturbateurs endocriniens au cœur d’un scandale européen