Commentaire d’un texte* de François Jarrige, « oublier Malthus »
Le mensuel La Décroissance avait l’habitude de dénigrer le mot « malthusien ». François Jarrige en fait une approche bien plus subtile, mais la conclusion reste la même : Oublions Malthus. La seule fonction de ce mot serait d’empêcher le débat, le malthusianisme étant considérée a priori comme une idéologie malfaisante par tous les croissancistes (et par certains décroissants).
Au lieu de mettre en évidence que Malthus était un écologiste avant la lettre, François insiste sur la réprobation « universelle » de la parabole du banquet alors que ce n’est qu’une image d’une sinistre réalité : quels sont les riches qui invitent habituellement les pauvres à leur table, nous aimerions les connaître ! D’autant plus que cette parabole décrit une autre réalité qui dépasse la lutte des classes. C’est un fait que le surnuméraire qui n’a pas de place, c’est la nature qui lui commande de s’en aller : sans maîtrise de la fécondité, il y a nécessairement tôt ou tard famines et épidémies (et même des guerres).
François Jarrige parle aussi des condamnations de la maîtrise de la fécondité par l’Eglise, les libéraux et même les socialistes. Une telle connivence a quelque chose de vraiment bizarre qui aurait mérité d’être dénoncé.
Pour l’agronome René Dumont**, à partir d’un certain seuil, la pression démographique conduit au déclin : « L’équilibre biologique est une notion à laquelle l’esprit toujours paresseux résiste. Sa nécessité est niée par une bien curieuse conjonction : celle des catholiques et des marxistes… Les possibilités offertes par la nature sont limitées », écrit-il en 1966.
François Jarrige traite le message de Malthus*** de « pessimiste » alors que c’est un message foncièrement optimiste :
Comme d’autres aujourd’hui, Malthus écrivait pour que ce qu’il constatait, les méfaits d’une expansion démographique qui dépasse les ressources alimentaires, ne soit pas une constante de l’humanité : « Tous mes raisonnements et tous les faits que j’ai recueillis prouvent que, pour améliorer le sort des pauvres, il faut que le nombre proportionnel des naissances diminue. Il suffit d’améliorer les principes de l’administration civile et de répandre sur tous les individus les bienfaits de l’éducation. A la suite de ces opérations, on peut se tenir pour assuré qu’on verra une diminution des naissances… La petitesse de certains Etats fait bientôt connaître à tout homme capable de réfléchir la tendance qu’a la population à s’accroître au-delà des moyens de subsistance. Législateurs et philosophes ne perdirent pas de vue, comme font trop souvent les politiques modernes, un objet si immédiatement lié à la paix et au bonheur social. »
François Jarrige reprend l’argument à la mode selon lequel « le bien-être permis par la consommation de masse doit entraîner automatiquement une baisse de la fécondité ».
René Dumont estime au contraire que les conditions actuelles de dénuement économique et de crises écologiques posent le problème démographique dans des termes différents de ceux qu’a connus l’Europe : « C’est quand la population s’emballe que s’amplifient les dégâts du productivisme, compromettant les moyens mêmes de production ». On n’a plus les capacités d’assurer les conditions du décollage économique. La vérité oblige aujourd’hui à reconnaître que la natalité n’appelle pas la richesse et le développement n’est pas au rendez-vous pour contenir la natalité. Dans un contexte de baisse de la mortalité et de pénurie économique, la croissance de la population resserre les mailles du sous-développement et aggrave la destruction de l’environnement.
François Jarrige exprime aussi les réticences du mensuel la Décroissance : « Ici-même, la rédaction du journal s’était opposée aux vues d’Yves Cochet sur la question démographique, insistant sur le fait que cette dernière risquait de dissimuler les autres problèmes. »
C’est nier l’interdépendance des phénomènes. Dans un texte**** à paraître prochainement, Yves Cochet précise : « Au cours du premier semestre 2013, j’ai participé aux réunions du Conseil national du Débat sur la Transition énergétique Lors d’une des premières réunions du groupe de travail, j’ai tenté, en vain, de placer notre réflexion collective dans un cadre qui prenne en compte les facteurs les plus directs de la consommation d’énergie. Plus précisément, j’ai évoqué l’équation I = PAT, que l’on peut interpréter ainsi dans le domaine de l’énergie : « I » est l’impact des activités humaines sur l’environnement, en l’occurrence la consommation totale d’énergie, « P » représente la population du territoire examiné (le monde, la France…), « A » est la variable « affluence », c’est-à-dire la consommation moyenne d’énergie par personne, et « T » représente l’intensité énergétique de la production de biens et de services pour l’affluence. Bien entendu, des améliorations technologiques de l’efficacité énergétique peuvent réduire l’intensité énergétique représentée par le facteur « T » dans la multiplication qui constitue le second membre de l’équation I = PxAxT. Mais pourquoi se restreindre à ce seul facteur dans une réflexion politique d’ensemble sur l’énergie ? »
Mais le principal argument de François Jarrige se veut pragmatique : « L’accusation de malthusianisme vaut mort médiatique et politique… La référence à Malthus est piégée, elle vise avant tout à fermer la discussion et à empêcher tout débat sérieux… Lorsque certains mots ne permettent plus d’avancer sur le chemin de la compréhension du monde, mieux vaut simplement les abandonner. »
Adopter ce point de vue, c’est laisser libre cours aux populationnistes et aux natalistes, aux marchands de canon et aux exploiteurs des travailleurs, aux partisans de la soumission de la femme et à la fécondité précoce, c’est laisser la victoire aux discours imbéciles sans les avoir combattu. La décroissance est aussi malthusienne. Ne pas le reconnaître c’est d’une certaine façon abdiquer et oublier ainsi la loi des rendements décroissants en agriculture sur laquelle reposait principalement le raisonnement de Malthus.
Comment nourrit-on de plus en plus de gosses ? En surexploitant les sols et les ressources naturelles jusqu’à l’épuisement, en dégradant l’écosystème. Pour l’écologiste et agronome René Dumont, il n’y a aucun doute : « L’agriculture ne peut plus assurer la sécurité alimentaire mondiale… La loi des rendements décroissants des facteurs de production domine l’agriculture. » C’est aussi un des référents des décroissants, Nicholas Georgescu-Roegen*****, qui pouvait écrire : « L’humanité devrait diminuer progressivement sa population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffirait à la nourrir convenablement. Bien entendu les pays qui connaissent à présent une très forte croissance démographique devront faire des efforts tout particuliers. » Pour René Dumont, la seule bonne nouvelle en matière démographique, c’est la baisse de la fécondité dans les pays riches : « Moins les riches seront nombreux, moins ils détruiront la planète. » Le retour de Malthus est avéré. Tout cela, François Jarrige pouvait-il l’ignorer ?
* La Décroissance de novembre 2013 page 10, Oublier Malthus (François Jarrige)
** René Dumont, une vie saisie par l’écologie de Jean-Paul Besset
*** Essai sur le principe de population de Malthus
**** Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie), ouvrage collectif à paraître aux éditions Sang de la Terre
***** La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas Georgescu-Roegen
René Dumont n’est plus à la mode. Aujourd’hui, c’est Pierre Rabhi, qui fait l’impasse sur la question. Forcément, quand on a cinq enfants, il vaut mieux prêcher les bonnes pratiques agricoles pour noyer le poisson.
Oui, Malthus est le premier écologiste parce qu’il pose franchement la question des limites physiques du monde et que cette question transcende tous les points de vue politiques.
Oui aussi ,il est très juste de faire remarquer que la décroissance est malthusienne (et que ses adeptes devraient donc l’admettre). Car il y a dans l’adjectif malthusien, deux sens : Un sens restreint limité à la question de la confrontation de nos effectifs aux ressources disponibles et un sens plus général affirmant que l’ordre de grandeur d’un problème fait partie intrinsèque de sa nature. En changeant l’ordre de grandeur d’un problème on en change la nature. D’où d’ailleurs, l’utilisation du terme de « politique malthusienne » dès qu’on veut freiner un phénomène. Cette approche est très riche et elle est au cœur même du concept de décroissance. Le passage aux extrêmes permet de l’exprimer : Si nous étions 50 millions sur la Terre alors la plupart des problèmes qui se posent aux hommes en terme de ressources s’évaporeraient d’eux-mêmes et ceci, même dans le cadre d’un haut niveau de vie.
Nicolas Georgecu est encore plus intelligent que je ne le pensais!
Cochet me surprend encore agréablement mais que diable fait-il avec les escrologistes de EELV ,en charge de la dégradation de l’ image écologique ,par des gauchomondialistes(pléonasme) à la Con Bandit ou Duflot ?
N’ oublions pas l’ argument majeur des écolos de carnaval façon Hulot / EELV ou autres mondialistes : « la croissance démographique n’ est pas le vrai problème mais plutôt celui de le redistribution des ressources « .
Et celui des liberalosocialoscocos : « le génie humain et sa technologie triomphante palliera sans difficultés toute croissance effrenée de la population car la voie vers les exoplanètes est ouverte »;
Et encore mieux :
« si les sources d’ énergie fossiles venaient à péricliter, nul doute que le génial bipède en trouvera d’ autres » : réacteurs nucléaires à fission de la xème génération, centrale à fusion nucléaire, panneaux solaires de la nème génération avec rendement miraculeux, éoliennes en altitude reliées à un câble, brevets recelant les technologies du futur enfermés dans les coffre – forts de multinationales attendant le moment favorable pour les mettre en valeur ,…..etc
Malthus a bien sûr raison : la nature elle-même équilibre ressources et population
animale .
J’ oubliais : un certain Carey Henri prétendait avoir réfuté sa thèse ! MDR !