A partir de janvier 2014, la vitesse sur le périphérique parisien sera limitée à 70 km/h*. Panique dans les habitacles : « Encore une mesure démago pour plaire aux verts… A quand la limitation à 20km/h en ville ??? Un nouveau moyen de taxer toujours plus les gogos ! Le périph, je le prends 2 fois par jour, ça roule entre 5 et 10 km/h… Ce gouvernement crée de fausses solutions à de vraies problèmes… » De son côté le maire de Paris Bertrand Delanoë voit dans l’abaissement de 80 à 70 km/h un moyen de lutter contre la pollution atmosphérique et sonore. Les uns et les autres n’ont pas encore compris qu’il est plus rapide de rouler en vélo.
L’automobiliste calcule superficiellement sa vitesse de déplacement en ne prenant en compte que la distance parcourue et le temps qu’il est resté au volant, soit un certain nombre de kilomètre par heure de conduite. Il pense donc que sa voiture est un mode de transport rapide et efficace. Mais pour avoir le droit de s’installer au volant, il lui a fallu consacrer un grand nombre d’heures de travail pour amortir l’achat de son véhicule et payer tous les frais inhérents à son fonctionnement (plein d’essence, réparations …). Si on divise le nombre moyen de kilomètre parcourue dans l’année par la durée réelle qui permet de couvrir le coût total (les heures de travail qui s’ajoutent au temps de déplacement), on obtient la vitesse généralisée, et non l’apparence de la performance. Un tel calcul qui met en relation le salaire horaire d’une personne et le modèle de véhicule qu’elle utilise permet de montrer que la voiture va moins vite qu’une bicyclette : Jean-Pierre Dupuy a calculé que la vitesse généralisée d’un automobiliste est de 7 kilomètres à l’heure, soit un peu plus que celle d’un piéton.
Si l’absurdité de la condition d’automobiliste n’apparaît pas aux yeux de la classe globale, c’est qu’on valorise le sentiment de vitesse sans faire de lien avec le temps de travail nécessaire pour jouir de sa voiture. De plus la possession d’une voiture entraîne l’éloignement croissant entre les lieux de travail et les lieux de vie, ce qui entraîne l’allongement des distances ; un cercle vicieux s’installe, on travaille en ville et on vit à la campagne, on fait ses courses au loin, les nécessités de la vie familiale et sociale multiplient les déplacements, il faut donc une (ou plusieurs) voiture. Bien plus, il faudrait ajouter à ces coûts personnellement assumés l’épuisement des ressources non renouvelables qui n’est pas encore comptabilisé dans le prix du pétrole et l’augmentation de l’effet de serre qui va pénaliser les générations futures. Que ce soit en argent, en énergie physique, en usure de matériaux, en risques et dégâts écologiques, le coût des incréments de vitesse croissent plus rapidement que la vitesse elle-même.
* LE MONDE du 15-16.12.2013, Le gouvernement va abaisser à 70 km/h la vitesse maximale sur le périphérique parisien
calcul de la vitesse généralisée
Pour les besoins du livre Energy and Equity, Jean-Pierre Dupuy a procédé avec une équipe de polytechnicien au calcul suivant. Dans les années 1970, le Français moyen consacrait plus de quatre heures par jour à sa voiture, soit qu’il se déplaçât dans son habitacle, soit qu’il travaillât dans des usines ou des bureaux afin d’obtenir les ressources nécessaires à son acquisition, à son usage et à son entretien. Si l’on divise le nombre moyen de kilomètres parcourus par cette durée, on obtient quelque chose de l’ordre d’une vitesse qui a été nommée « généralisé ». On arrive ainsi à sept kilomètres à l’heure, un peu plus grande que la vélocité d’un homme au pas, mais sensiblement inférieures à celle d’un vélocipédiste. Il est comique de travailler une bonne partie de son temps pour se payer les moyens de se rendre à son lieu de travail. Le Français, privé de sa voiture, serait libéré de la nécessité de travailler de longues heures pour se la payer, consacrerait moins de temps généralisé au transport s’il faisait tous ses déplacements à bicyclette (distance domicile travail ou loisirs). Ce scénario alternatif serait jugé par tous absurde, intolérable. Et cependant il économiserait du temps, de l’énergie et des ressources rares, et il serait doux à ce que nous nommons environnement.
in Entropia n° 14, La Saturation des mondes, Dossier Ivan Illich (3/3)
calcul de la vitesse généralisée
Pour les besoins du livre Energy and Equity, Jean-Pierre Dupuy a procédé avec une équipe de polytechnicien au calcul suivant. Dans les années 1970, le Français moyen consacrait plus de quatre heures par jour à sa voiture, soit qu’il se déplaçât dans son habitacle, soit qu’il travaillât dans des usines ou des bureaux afin d’obtenir les ressources nécessaires à son acquisition, à son usage et à son entretien. Si l’on divise le nombre moyen de kilomètres parcourus par cette durée, on obtient quelque chose de l’ordre d’une vitesse qui a été nommée « généralisé ». On arrive ainsi à sept kilomètres à l’heure, un peu plus grande que la vélocité d’un homme au pas, mais sensiblement inférieures à celle d’un vélocipédiste. Il est comique de travailler une bonne partie de son temps pour se payer les moyens de se rendre à son lieu de travail. Le Français, privé de sa voiture, serait libéré de la nécessité de travailler de longues heures pour se la payer, consacrerait moins de temps généralisé au transport s’il faisait tous ses déplacements à bicyclette (distance domicile travail ou loisirs). Ce scénario alternatif serait jugé par tous absurde, intolérable. Et cependant il économiserait du temps, de l’énergie et des ressources rares, et il serait doux à ce que nous nommons environnement.
in Entropia n° 14, La Saturation des mondes, Dossier Ivan Illich (3/3)