à lire absolument, le livre le plus écolo de 2013

Les exemples à suivre dans le monde contemporain sont suffisamment rares pour qu’on leur accorde une attention soutenue quand on les rencontre. Voici la présentation par Jean-Pierre Besset d’un homme qui est le précurseur de la pensée pour la XXIe siècle, René Dumont. Libre-penseur, pacifiste, tiers-mondiste, malthusien, écologiste et même décroissanciste avant la lettre, René Dumont possédait des qualités que nous vous convions à partager. Nous nous limitons ici à montrer qu’on peut devenir écolo quand on a été au départ un agronome productiviste.

A partir des années 1970, c’est l’écolo René Dumont qui entre en scène. Il fait économiser la lumière dans ses conférences. Il condamne « l’univers de la bagnole, la plus grosse erreur de civilisation du siècle ». Il vitupère les emballages, le gâchis de la publicité, l’overdose d’engrais, les climatiseurs et les escaliers roulants. Son livre de 1972, L’utopie ou la mort, constitue le premier ouvrage de référence de l’écologie française. En 1973, l’agronome compte parmi les rares à se féliciter du choc pétrolier : relèvement des prix, instauration des quotas, mesures d’économies d’énergie. « On reconnaîtra un jour que les restrictions des fournisseurs arabes auront contribué à faciliter la survie de l’humanité. » Il écrit dans L’Utopie ou la mort ! : « Si nous ne parvenons pas à réduire les émissions de gaz carbonique, la dégradation des climats risque d’atteindre le point de non-retour à partir duquel on ne serait plus sûr de pouvoir rétablir un ordre climatique viable. »

En ce début d’année 1974, Le président de la République française, Georges Pompidou, vient de mourir. Une élection anticipée aura donc lieu. Dumont rentre d’Alger. A Orly, on l’attend : « Voilà, les mouvements écologistes se sont réunis. Ils ont décidé d’apparaître politiquement en ayant un candidat à l’élection présidentielle. Nous avons pensé à toi… » Dumont : « D’accord, j’ai trois semaines de vacances avant de repartir, je vous les donne. A une condition cependant, qu’on parle du tiers-monde ! » Au programme de la présidentielle : la réduction de la consommation du tiers le plus riche de la population française, le cancer de l’automobile, la folle course aux armements, la folie nucléaire, la démographie galopante, une diminution radicale du temps de travail, la « limitation de la croissance économique aveugle », l’arrêt du gaspillage des ressources naturelles et de l’exploitation du tiers-monde… ». Quand le candidat Dumont se présente devant l’ORTF, il tombe sur un panneau « Interdit aux animaux ». Il déclare aussitôt que, relevant lui-même du monde animal, il n’entrera pas dans ce lieu. A un déjeuner de presse, Dumont prévient : « S’il y a à la fois du poisson et de la viande, je n’y vais pas. » Passant à la télévision, il s’attaque au tabou numéro un, la voiture ; il propose d’augmenter le prix du super à 5 francs alors qu’il se vendait 1,50 francs. Il déclare par exemple : « La civilisation de l’automobile particulière est en train de renforcer la famine mondiale. » Il se saisit d’un verre d’eau et le boit très solennellement en direct « avant que nous n’en manquions ». Il n’obtiendra que 337 000 voix (1,33 %). Mais l’écologie politique est lancée et pas question d’appeler à voter pour le candidat de la gauche au deuxième tour.

René Dumont soutient Brice Lalonde qui se présente à l’élection présidentielle de 1981 : « Un écologiste contre un socialiste, je soutiens l’écologiste. » En 1986, il est tête de liste des Verts à Paris pour les élections législatives à la proportionnelle. En 1988, quand des militants écologistes lui proposent de se joindre à eux pour protester contre la « trahison » de Brice Lalonde qui a accepté d’être ministre de l’environnement, le professeur refuse de s’y joindre : « Si Brice estime qu’il peut faire quelque chose, il a eu raison d’accepter. C’est un problème de conscience et on verra à l’usage. » Mais en 1989, invité par Brice Lalonde à participer au lancement de Génération écologie, on parle surtout d’enjeux électoraux. Dumont se lève et déclare : « Je vous ai écouté avec une stupéfaction sans cesse croissante. Au revoir. » Avec lui, il y a toujours quelques chose qui ne va pas. Si on construit un barrage, il le trouve trop gros. Il y a toujours trop de fonctionnaires, ou trop de voitures, ou trop de dépenses d’armement : « Je suis obligé de dramatiser parce que les gens ne s’inquiètent pas assez. » A ceux qui lui reprochent un comportement « catastrophiste », il rétorque que c’est plutôt leur propre attitude qui est « catastrophique ».

Il restera « le plus rouge des Verts » et on devrait se souvenir encore longtemps de son éternel pull rouge. Dumont est désormais convaincu qu’une course de vitesse est engagée pour arrêter la dégradation du milieu naturel, sans l’équilibre duquel la société humaine sombrera dans le déclin économique et la dislocation sociale. Pendant que la production mondiale explosait pendant les Trente Glorieuses, le capital naturel a été entamé aux limites de l’irréparable : « Nous sommes en train de brûler en quelques dizaines d’année les réserves accumulées en quelques dizaines de millions d’années. » Les critiques n’ont pas manqué contre son « catastrophisme », son « archaïsme » ou son « malthusianisme ». Mais il en est persuadé : « Plus nous tarderons, plus nous paierons cher la note. » Il presse l’opinion et ses dirigeants de « regarder la réalité en face. » Il reste réaliste : « On reconnaît dans les milieux informés les limites de notre petite planète. On reconnaît le danger de surpopulation. Mais, encore une fois, on n’agira que lorsqu’il sera trop tard. »

Dans « René Dumont, une vie saisie par l’écologie » de Jean-Paul Besset

506 pages, 20 euros, éditions les Petits Matins – 2013 (première édition en 1992)

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3 réflexions sur “à lire absolument, le livre le plus écolo de 2013”

  1. René Dumont, c’est aussi cet homme qui a flirté avec le pétainisme (il écrivait dans une revue d’agriculture soutenue par le régime de l’Etat français), et défendu ensuite dans les années 60 la dictature castriste. Même s’il a eu un rôle intéressant pour l’écologie en France, cela ne doit pas nous empêcher de garder la tête froide vis à vis dudit personnage. A moins que les thuriféraires d’aujourd’hui de R. Dumont se sentent toujours en phase avec la logique des dictatures dont l’écologie politique pourrait être un puissant levier dans le futur ?

  2. René Dumont, c’est aussi cet homme qui a flirté avec le pétainisme (il écrivait dans une revue d’agriculture soutenue par le régime de l’Etat français), et défendu ensuite dans les années 60 la dictature castriste. Même s’il a eu un rôle intéressant pour l’écologie en France, cela ne doit pas nous empêcher de garder la tête froide vis à vis dudit personnage. A moins que les thuriféraires d’aujourd’hui de R. Dumont se sentent toujours en phase avec la logique des dictatures dont l’écologie politique pourrait être un puissant levier dans le futur ?

    1. Monsieur Bruguier,
      Prière de ne pas propager des rumeurs infondées à propos de René Dumont qu’on ne peut en aucun cas traiter de « pétainiste » ou de soutien au castrisme.
      Sur le pétainisme : René Dumont a révélé par lui-même au moment de la Libération ses écrits dans « La Terre française » au Comité d’épuration de l’Agriculture : rien ne sera retenu contre lui (p. 115 de sa biographie).
      Sur le castrisme : Même le régime castriste n’échappe pas à sa verve. Dès la fin des années 1960, la conclusion de l’agronome est sans appel : « Fidel pense travailler pour le peuple, mais il ne sait pas qu’il faut d’abord travailler par le peuple. » Pour Dumont, l’exercice prolongé du pouvoir est dangereux. A preuve ce dialogue, douloureux souvenir que René conserve de Fidel :
      « Alors, Dumont, qu’est-ce que tu penses de notre réforme agraire ?
      – Mon avis n’a que peu d’importance. Il faudrait d’abord consulter les intéressés, les ouvriers agricoles et les paysans.
      – Mais tu sais bien qu’ils sont analphabètes et réactionnaires. C’est nous qui dirigeons !
      »
      Monsieur Bruguier, nous vous conseillons de lire la biographie complète de René Dumont pour mieux comprendre qui était réellement René Dumont.

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