Si chaque famille humaine ne dépendait que de ses propres ressources ; si les enfants de parents imprévoyants mouraient de faim ; si, donc, une reproduction excessive entraînait la « punition » de la lignée génétique en cause, il n’y aurait alors aucun intérêt public à contrôler la reproduction des familles. Mais notre société est profondément engagée dans l’Etat-providence, et elle est en conséquence confrontée à un autre aspect de la tragédie des biens communs. Dans un Etat-providence, comment faut-il traiter la famille, la religion ou la classe sociale qui adopte une reproduction excessive en vue d’assurer son propre accroisssement ?
Lier le concept de la liberté d’enfanter à la croyance selon laquelle chacun possède à la naissance un droit égal aux biens communs, c’est enfermer le monde dans un processus tragique. Malheureusement, c’est exactement la voie suivie par les Nations unies. Fin 1967, quelques trente pays ont donné leur accord à ce qui suit : « La Déclaration universelle des droits de l’homme décrit la famille comme l’unité naturelle et fondamentale de la société. Il s’ensuit que tout choix et toute décision concernant la taille de la famille doivent irrévocablement relever de la famille elle-même, et ne peuvent être pris par qui que ce soit d’autre. »
Il est douloureux de devoir nier catégoriquement la validité de ce droit. Mais si nous aimons la vérité, nous devons ouvertement réfuter la validité de cette Déclaration, même si elle est promue par les Nations unies. Le résumé le plus simple de l’analyse de la population humaine est peut-être le suivant : les biens communs ne le sont que dans des conditions de faible densité de population. Quand la population humaine a augmenté, les communaux ont dû être abandonnés l’un après l’autre. Nous avons d’abord abandonné les communaux dans la collecte de nourriture, en clôturant les terres agricoles et en limitant les pâturages et les zones de pêche. Nous luttons aujourd’hui pour fermer les communaux à la pollution due aux automobiles, aux usines, aux insecticides et aux centrales nucléaires.
Aucune solution technique ne peut nous sauver de la misère de la surpopulation. La liberté de se reproduire entraînera la perte de tous. La seule façon de préserver nos libertés consiste à renoncer très rapidement à la liberté d’enfanter. « La liberté et la reconnaissance de la nécessité », et c’est le rôle de l’éducation de révéler à tous la nécessité d’abandonner la liberté d’enfanter. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons mettre un terme à la tragédie des biens communs.
Garrett Hardin (extraits de The Tragedy of the commons, 1968, texte repris par l’anthologie « la pensée écologique », Puf 2014)
NB : un livre vient de sortir sur cette problématique démographique, « Moins nombreux, plus heureux » aux éditions Sang de la Terre ; à commander chez votre libraire préféré…
Oui, vous avez raison, le droit à se reproduire sans limite s’oppose finalement à tous les autres droits des hommes, c’est « un droit contre tous les autres ». Si nous n’y prenons pas garde et le sacralisons à l’excès, nous allons sacrifier tout le reste et nous le sacrifierons lui-même, puisqu’une fois la Terre surpeuplée il nous faudra bien finalement œuvrer à la stabilisation démographique. Si nous voulons que nos enfants gardent eux aussi le droit d’avoir à leur tour des enfants…. n’en faisons pas trop aujourd’hui. La sauvegarde du droit à enfanter suppose d’en user avec modération. La sauvegarde du monde vivant est d’ailleurs dans son ensemble soumise à la même condition.