Selon les statistiques du MONDE*, 3,5 milliards de personnes sont privées du droit à l’eau et 1,3 milliard de personnes ne sont pas raccordées à l’électricité. Il suffirait donc de 150 milliards de dollars pour que chacun ait à la fois l’eau et l’électricité. Mais un autre article démontre que c’est impossible. Pour rendre l’eau accessible – c’est-à-dire la pomper, la traiter, la transporter, la distribuer – il faut de l’énergie. Et, pour fournir de l’énergie, il faut de l’eau, beaucoup d’eau même : 600 milliards de mètres cubes par an.
Ces deux ressources sont intrinsèquement liées « pour le meilleur et pour le pire », prévient l’ONU dans son cinquième rapport mondial sur « La mise en valeur des ressources en eau »**. Quadrature du cercle ou plutôt cercle infernal. Déjà, aux Etats-Unis, l’eau utilisée pour faire fonctionner les centrales thermiques pèse autant, voire plus que celle captée par l’agriculture. Déjà, grâce aux pompes à eau motorisées, un aquifère sur cinq est surexploité aujourd’hui et ne renouvelle plus ses réserves. La consommation énergétique mondiale a crû de 186 % en quarante ans. Depuis les années 1980, l’homme prélève 1 % de ressource hydrique supplémentaire chaque année. Les experts notent en outre que 15 à 18 milliards de m3 d’eau douce sont contaminés chaque année par la production de combustibles fossiles. Un troisième article s’arrête sur le cas de l’Inde : « L’électricité gratuite ou à tarif réduit dont bénéficient de nombreux agriculteurs indiens pour irriguer leurs cultures, à l’aide de pompes motorisées, accélère l’épuisement des nappes phréatiques. Au rythme actuel, la Banque mondiale prévoit que 60 % de ces nappes seront dans une situation « critique » d’ici vingt ans. Le recours à l’irrigation souterraine a aussi creusé les inégalités. Seuls les plus riches peuvent financer l’achat de pompes et le creusement de puits profonds. Les autres doivent leur acheter l’eau… » ***
Les humains ont abusé de la générosité de la nature qui, telle une marchande insouciante, ne faisait pas payer les factures. Des économistes proposent de faire payer la consommation d’électricité aux agriculteurs pour sauver les nappes phréatiques en Inde, d’autres voudraient donner un prix à l’eau. De tels système sont déjà appliqué ici ou là, toujours à l’avantage des agriculteurs. Mais faire payer les riches comme les pauvres ne suffira pas. En fait la nature ne donne rien gratuitement : si nous ne lui redonnons pas en échange, la ressource s’épuise irrémédiablement. Le cycle de l’eau doit être respecté : on ne peut puiser dans une nappe phréatiques plus que ses capacités de renouvellement, on ne peut amoindrir le capital naturel sauf à appauvrir les générations futures. De même pour l’énergie, on ne peut se reposer durablement que sur les énergies vraiment renouvelables. Et la complémentarité eau/énergie ne peut être mise en oeuvre que si la contrainte de la durabilité est posée comme principe absolu. Il faudrait même aller plus loin : on ne peut conserver les systèmes d’irrigation traditionnels de surface comme les canaux que si l’ensemble des cycles de la biosphère sont respectés. Les humains doivent aussi apprendre à partager l’eau et l’énergie avec les autres espèces animales et végétales (par exemple une centrale hydroélectrique perturbe la vie des poissons et la circulation des limons). Vaste programme dont nos politiques n’ont encore aucune idée car il repose sur le rationnement de l’eau, la sobriété énergétique et la limitation de la population humaine.
* LE MONDE du 22 mars 2014, 3,5 milliards d’humains n’ont pas accès à une source sûre
** LE MONDE du 22 mars 2014, le boom de l’énergie menace les ressources en eau
*** LE MONDE du 22 mars 2014, En Inde, les effets pervers d’une électricité gratuite