On reconnaît un journal de référence à la hiérarchie qu’il donne aux informations. Dix pages dans LE MONDE (+ le numéro spécial ville par ville) pour les municipales*, une seule page pour les nouvelles menaces** liées au changement climatique. LE MONDE se prend pour un journal local qui parle des élections locales. LE MONDE n’avait pas à faire un enjeu national d’une amplification du désarroi global de la population qui ne sait plus à quel maire se vouer. Par contre nous devrions avoir eu de larges extraits du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : nos sociétés ne sont pas suffisamment préparées au changement climatique en cours qui met en péril leur sécurité et leur stabilité. La production de blé va baisser d’année en année, la disponibilité en eau va s’effondrer partout dans le monde, des conflits violents comme les guerres civiles ou les affrontements interethniques vont se multiplier, les tensions entre Etats vont s’accroître. Entre une péripétie nationale qui touche à la politique politicienne comme les municipales et un évènement mondial qui va impacter le sort de centaines de millions de personnes, LE MONDE a fait le mauvais choix. C’est un journal qui s’intéresse à l’écume des évènements de court terme (et même de plus en plus aux faits divers), pas aux évènements longs et structurants.
Mieux vaudrait lire le livre « La nature est un champ de bataille » de Razmig Keucheyan. Tout un chapitre est consacré aux guerres vertes, la militarisation de l’écologie. En 2010 le NSS américain (National Security Strategy) inclut pour la première fois une section consacrée aux implications militaires du changement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre deviennent un « multiplicateur des menaces ». Le terrorisme international va prospérer, il y aura une urbanisation de la guerre dans le bidonville global. Pour Razmig, la classe politique est victime d’un court-termisme qui la rend inapte à intégrer le changement climatique dans ses calculs.
Les scientifiques du GIEC et les militaires sont d’accord pour nous dire la montée des périls. Cela a de l’importance. Mais le traitement par le MONDE des informations ne nous prépare nullement à envisager une diminution de nos émissions de gaz à effet de serre ; mieux vaut parler des dernières élections à la mode…
* LE MONDE du 1er avril 2014, Hollande pris dans le piège d’une déroute historique
** LE MONDE du 1er avril 2014, Le GIEC alerte sur les impacts du réchauffement
Ah, sans doute le rapport du Giec est-il encore plus inquiétant que le précédent, mais rassurons-nous, il est beaucoup moins angoissant que celui qui suivra !
Cette course folle à la destruction de la nature (et la disparition des espèces me semble encore beaucoup plus grave) se poursuivra jusqu’à ce que dans un écroulement final, l’humanité ne soit même plus en mesure ni de publier ni de réaliser de telles études.
Oui, le « court termisme » nous aura condamnés. Certains médias seront effectivement rétrospectivement coupables d’avoir privilégié le médiatique au détriment du fond. Cela montrerait un certain courage qu’un jour un grand journal ignore délibérément les évènements du quotidien (même des élections) pour ne parler que d’une chose, la préservation de la vie et de la beauté sur la Terre.