L’humanité devient une force géologique dont l’impact rivalise avec les forces telluriques. Les activités humaines modifient en effet de façon terrifiante les cycles de la nature. Les années 1950 se caractérisent par une accélération de l’érosion, un bouleversement total du cycle du carbone et de la température, des extinctions désastreuses d’espèces animales et végétales ainsi que l’emballement de l’artificialisation des sols. Face à cela, la majorité des économistes soutiennent encore un modèle orthodoxe (néolibéral) qui reste productiviste ; on vit dans l’illusion d’une croissance économique qui reviendra une fois la crise passée. Le modèle «augustinien» est plus réaliste : tout système se comporte comme n’importe quel individu : il naît, il grandit et il meurt. Tout accroissement aboutit à une période de dépérissement. Mais il est fort possible qu’un autre avenir, beaucoup moins prévisible, s’ouvre devant nous : le modèle « discontinuiste ». Une perturbation même mineure peut entrainer des changements considérables dont l’ampleur est impossible à anticiper.
L’économie biophysique (ou écologiste) se situe dans cette perspective puisqu’il est fort probable que nous avons dépassé certaines possibilités de résilience des écosystèmes. L’approche biophysique se base sur les flux fondamentaux d’énergie et de ressources plutôt que sur les paramètres monétaires. On note que l’économie actuelle va être confrontée à la diminution des ressources énergétiques et métalliques alors même que la demande mondiale s’accélère, principalement avec l’irruption sur le marché mondial des pays émergents comme la Chine. Les technologies « vertes », beaucoup trop complexes et consommatrices de terres rares, ne constituent pas une solution durable. Il faut donc faire plus simple, plus réparable, raccourcir le détour de production (utiliser moins de capital fixe), prolonger l’usage des biens de consommation (faire plus solide, plus recyclable…), consommer moins… et glorifier les métiers manuels tout en abandonnant les emplois parasitaires.
Le changement vertigineux qui nous attend exige des industriels un renoncement au profit à court terme et de la gent politique une vision non croissanciste… c’est pas gagné ! D’autant plus que tous, en proportion de son niveau de vie, devra faire des renoncements en pratiquant la simplicité volontaire, la sobriété énergétique et l’humilité vis-à-vis des forces déclinantes de la nature. Plus nous attendrons, plus la rupture sera brutale… et douloureuse !
En un mot il faut faire exactement le contraire de ce que propose aujourd’hui les soi-disant écologistes adeptes du développement durable. Il faut abandonner toute espoir dans une fuite en avant technologique, il faut faire durer les objets le plus longtemps possible (la prime à la casse est une aberration), il faut éviter de brûler la biomasse (la nature prévoit de recycler la biomasse dans le sol) , il faut protéger les animaux sauvages en en interdisant la chasse (note à l’intention de Madame Royal et de Monsieur Bové, respectivement ministre de l’environnement et écologistes militant) et aussi en leur laissant de l’espace, il faut engager la décroissance économique et il faut surtout engager la décroissance démographique dont aucun écolo bien pensant n’oserait même prononcer le nom. Bref il faut oublier l’écologie médiatique et revenir vers plus d’humilité. « L’avenir de l’humanité passe par l’établissement d’un rapport plus humble avec la planète » disait Alain Gras. On ne peut mieux exprimer l’exigence.