L’éditorial « Des patrons surpayés » est convaincant (LeMonde du 2.06.2008) : « Que les patrons du CAC 40 aient perçu en moyenne 4 millions d’euros chacun en 2007 n’est pas justifiable. Ces rémunérations sont d’autant plus choquantes qu’elles ne récompensent pas le mérite propre de l’intéressé ». Mais Le Monde minimise aussitôt sa critique: « Pas question de plaider ici pour un égalitarisme niveleur », sans justifier d’ailleurs ce point de vue particulier. Je conseille donc aux journalistes de (re)lire un vieux texte d’il y a presque un demi-millénaire dans lequel il suffit de remplacer « nobles » par « technocrates » :
« La principale cause de la misère publique, c’est le nombre excessif de nobles, frelons oisifs qui se nourrissent de la sueur et du travail d’autrui ; ils ne connaissent pas d’autre économie. S’agit-il au contraire d’acheter un plaisir ? Ils sont prodigues jusqu’à la folie. Ce qui n’est pas moins funeste, c’est qu’ils traînent à leur suite des troupeaux de valets fainéants.
Le seul moyen d’organiser le bonheur public, c’est l’application du principe de l’égalité. Or l’égalité est impossible dans un Etat où la possession est solitaire et absolue ; car chacun s’y autorise de divers titres et droits pour attirer à soi autant qu’il peut, et la richesse nationale, quelque grande qu’elle soit, finit par tomber en la possession d’un petit nombre d’individus que ne laissent aux autres qu’indigence et misère. Voilà ce qui me persuade invinciblement que l’unique moyen de distribuer les biens avec égalité, avec justice, c’est l’abolition de la propriété. Tant que le droit de propriété sera le fondement de l’édifice social, la classe la plus nombreuse et la plus estimable n’aura en partage que disette, tourments et désespoir ». Thomas More, l’utopie (1516)