Un écologiste conséquent devrait se pencher sur tous les actes quotidiens, à commencer par celui de manger : cru ou cuit ? Pour les paléoanthropologues, les avantages de la cuisson sont indéniables. Il est d’ailleurs rare de trouver une analyse similaire sur la question dans deux articles différents du même journal :
Angela Sirigu : « L’expansion de notre cerveau, très gourmand en calories, s’est effectuée au détriment du système digestif, dont la taille a rétréci en même temps que nous commencions à cuire les aliments, ce qui a permis de réduire l’utilisation d’énergie pour la mastication et la digestion. La cuisson a procuré un avantage reproductif aux groupes humains. »*
Jean-Jacques Hublin : « La préparation des aliments, la cuisson, permettent d’épargner des fonctions digestives coûteuses. L’énergie qui a été ainsi économisée par l’organisme a pu être mise à profit pour d’autres fonctions, et notamment être allouée au cerveau, qui est un organe très exigeant. »**
Par contre le point de vue des végétariens semble différent : « La nourriture crue est de meilleure qualité (plus riche en nutriments, en vitamines et en minéraux), du coup vous avez besoin de manger moins pour satisfaire vos besoins nutritionnels. La chaleur de la cuisson fait disparaître une partie des vitamines, détériore les protéines et les graisses et détruit les enzymes qui profitent à la digestion. »
Cherchons une synthèse. Les précieux nutriments (vitamines, oligo-éléments, minéraux, enzymes…) que nous croyons épargner en mangeant cru, nous coûtent en fait cher car leur assimilation n’est pas garantie ; la balance énergétique entre apport et coût, au bout du compte n’est pas forcément positive. De façon générale, pour qu’un aliment soit facilement transformé en énergie, il faut qu’il soit, au moment de son absorption, à la température de l’estomac. En d’autres termes, les aliments crus demandent davantage d’effort à l’estomac pour la digestion. D’ailleurs les céréales doivent impérativement être complètement cuites pour être bien digérées. La cuisson permet aussi de détruire les germes pathogènes, et limite ainsi les risques d’intoxication. Enfin la cuisson permet de mieux conserver les aliments. Cela ne doit pas vous empêcher d’apprécier les fruits cueillis sur l’arbre et directement envoyé dans l’estomac… après mastication, première étape de la digestion. Cela n’empêche pas certains peuples, comme l’a observé Lévi-Strauss, de ne pas connaître la cuisson des aliments ; ils n’ont même pas de mot pour dire « cuit »… ou cru !
* LE MONDE science&médecine du 1er octobre 2014, L’estomac, ce deuxième cerveau
** LE MONDE science&médecine du 1er octobre 2014, L’évolution humaine est un phénomène bioculturel