LE MONDE du 28-29 novembre nous fait une analyse superficielle, comme d’habitude, « Optimistes contre professeurs du désespoir ». Nous conseillons à la journaliste Marie Charrel de lire Stephen Emmott :
» Si nous voulons empêcher une catastrophe mondiale, nous devons sans délai opter pour une action radicale – et agir vraiment, cette fois. Mais je ne pense pas que nous soyons prêts à le faire. Je pense que nous sommes foutus. J’ai demandé à l’un des scientifiques les plus rationnels et les plus brillants que je connaisse – un jeune chercheur de mon labo, qui maîtrise bien ce domaine – ce qu’il ferait, lui, s’il avait une chose, une seule, à faire dans la situation où nous sommes. Sa réponse ?
« Apprendre à mon fils à se servir d’un fusil. » »
Ainsi se termine le livre* de Stephen Emmott « 10 milliards », qui vient de sortir en librairie. Ce n’est pas le discours d’un catastrophiste, mais d’un réaliste. Il dirige un vaste programme de recherche scientifique réunissant une équipe interdisciplinaire à Cambridge. Il parle d’un constat sévère : « La Terre abrite des millions d’espèces. Une seule a imposé sa domination : la nôtre. Notre intelligence, notre inventivité et nos activités sont à l’origine de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui à l’échelle mondiale. Et chacun de ces problèmes s’accentue à mesure que la population mondiale s’approche des 10 milliards d’habitants. » Il déroule rapidement l’analyse commune à l’ensemble des écologistes, tous les indicateurs de la planète sont au rouge, avec une attention particulière à la démographie : « Seuls les idiots refuseraient d’admettre qu’il y a une limite au nombre de personnes que notre planète peut supporter. Mon avis est nous avons dépassé cette limite. Depuis longtemps. Mais je crois que nous allons continuer à faire comme si de rien n’était. » L’idée générale de Stephen Emmott ? « Tandis que notre population se rapproche des 10 milliards, nous pénétrons en territoire inconnu. Mais s’il est une chose prévisible, c’est que les choses vont s’aggraver encore… D’après les données nous nous disposons actuellement, la solution de la technologie est tout sauf probable. »
Le problème, c’est que Stephen Emmott n’a pas grand chose à proposer face à la détérioration des conditions de la vie sur notre planète. Il pense qu’il nous faut de toute urgence consommer moins, radicalement moins. Il pense que pour opérer un changement d’attitude si radical, nous aurions besoin d’une action tout aussi radicale de la part des gouvernements. Or il avoue que sur ce point, les responsables politiques aujourd’hui font partie du problème, et non de la solution. Il constate que les résultats des différentes conférences internationales sur le climat, la lutte contre la désertification, la protection de la diversité biologique, le sommet « Rio + 20 », c’est zéro, encore et toujours zéro : « Et, pendant ce temps, nous nous enfonçons encore un peu plus dans le pétrin. » Faire pipi sous la douche ou utiliser deux feuilles de papier toilette plutôt que trois ne vont pas résoudre le problème. Même la contraception n’apparaît pas pour lui comme une solution viable pour des raisons politiques, culturelles et religieuses. D’où toujours la même antienne : « La gravité et la nature des problèmes auxquels nous sommes confrontés sont immenses, sans précédent et très certainement sans solution. » Alors le recours au fusil ? « Ce n’est pas un hasard si un nouveau type d’acteur participe désormais à presque toutes les conférences scientifiques sur le changement climatique auxquelles j’assiste : l’armée. »
L’armée ou le chaos ? C’est possible. Ce que proposait un de ses collaborateurs (« Apprendre à mon fils à se servir d’un fusil » relève du survivalisme, d’un recours au fusil dans chaque famille et les communautés de base. Les Américains sont bien préparés à cette éventualité individualiste, sauf que cela signifie le droit de s’entretuer pour que les plus forts survivent. Il est fort probable que d’un bout à l’autre de la planète, nous utiliserons toutes les manières pour nous en sortir, entre chacun pour soi et action concertée. L’essentiel est de nous préparer au pire pour garder le meilleur.
* 10 milliards, 210 pages, 12 euros (2014, éditions Fayard)
titre original 10 Billion (2013, Penguin)
J’aimerais partager 2 analyses récentes avec vos lecteurs. Voici les lien vers le site de l’IRASD :
http://irasd.wordpress.com/2014/12/09/lirasd-predit-quaucune-strategie-de-mitigation-des-changements-climatiques-ne-sera-jamais-pr-esente-ni-adoptee-par-les-decideurs/
http://irasd.wordpress.com/2014/12/31/lhomme-espece-en-danger-depuis-1780/
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C’est Claude Lévi-Strauss qui faisait à la fin de sa vie le constat désabusé que nous aurons sécrété notre propre poison. RIP