Au milieu de l’été 2012 Robert Gordon entendait « questionner l’affirmation, largement partagée depuis les travaux de Robert Solow dans les années 1950, selon laquelle la croissance économique est un processus continu qui durera toujours ». Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, Gordon enfonce le clou : « Mon article suggère que la croissance rapide observée au cours des 250 dernières années pourrait bien être un épisode unique dans l’histoire de l’humanité. » Emoi considérable, Gordon s’attaquait à une croyance collective. Cette référence récente du journaliste Vincent Giret* est étonnante. Il semble ignorer que les limites de la croissance sont bien analysées depuis plus de quarante ans avec le rapport au Club de Rome en 1972. Dans cette analyse systémique, les facteurs de blocage sont l’épuisement des ressources naturelles, la surpopulation, la pollution généralisée, les problèmes de l’agriculture et des limites technologiques. Ces causes structurelles sont liées à l’évolution exponentielle de l’emprise de l’humanité sur la planète. Notons qu’un taux de croissance du PIB de seulement 0,1 % constitue déjà une croissance qui entraîne un doublement d’une période à une autre.
En fait Vincent Giret introduisait ainsi une recension du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard**. Ceux-ci mènent l’enquête sur les limites de la croissance : baisse de la productivité, vieillissement démographique, inefficacité croissante des systèmes d’éducation, coût de la lutte contre le réchauffement climatique, exigence du désendettement public et privé… Aucune des limites analysées par le rapport au Club de Rome ne sont envisagées si ce n’est par le mécanisme suivant : « L’exemple de l’industrie pétrolière est édifiant : il faut investir sans cesse plus de milliards pour espérer extraire la moindre goutte de pétrole brut des profondeurs. » Les économistes feraient mieux de s’interroger sur les limites biophysiques de la planète avant de s’intéresser aux phénomènes sociaux comme le vieillissement ou l’éducation.
La France n’est donc pas au « seuil d’un nouveau modèle de développement » comme espéré par Artus/Virard, mais au bord de l’effondrement. L’ensemble du système techno-industriel qui a voulu recouvrir la planète de son idéologie et de ses infrastructures ne pourra pas résister à la disparition des énergies fossiles. C’est ce que prévoyait déjà le rapport au Club de Rome : « Adopter un comportement de croissance, c’est finalement courir au déclin incontrôlé de la population et des investissements par voie de catastrophes successives. Cette récession pourrait atteindre des proportions telles que le seuil de tolérance des écosystèmes soit franchi d’une manière irréversible. Il resterait alors bien peu de choses sur terre permettant un nouveau départ sous quelque forme envisageable que ce soit. ». Quand la Biosphère ne pourra plus assurer notre subsistance parce que nous l’aurons irrémédiablement dégradée, la Nature haussera simplement les épaules en concluant que laisser des singes diriger un laboratoire était amusant un instant, mais que, en fin de compte, c’était une mauvaise idée.
* LE MONDE économie&entreprise du 6 février 2015, Le mystère de la croissance disparue
** Croissance zéro. Comment éviter le chaos ?, de Patrick Artus, Marie-Paule Virard. Fayard, 184 pages, 16 €.
Pour inciter donc à réfléchir sur les implications politiques : http://www.nonfiction.fr/article-7460-societe___penser_le_futur_dune_democratie_sans_croissance.htm
« Mon article suggère que la croissance rapide observée au cours des 250 dernières années pourrait bien être un épisode unique dans l’histoire de l’humanité. »
On s’étonne que de tels propos puissent encore susciter le moindre émoi, ce n’est pas une découverte, c’est une obligation dans un monde fini. Ce qui est vrai pour les PIB et plus généralement pour la quantité de matériaux manipulée par les hommes, l’est aussi pour le nombre des hommes. Nous vivons une période particulière, une période de pointe et il y a longtemps déjà que l’idée de son prolongement infini ou même durable aurait dû apparaitre comme une absurdité, une impossibilité, un « illogisme ».
Le débat devrait juste porter éventuellement sur le « jusqu’à quand ? » mais surtout sur le « Comment redescendre sans chaos ? »
Pourquoi les économistes pensent-ils être en charge d’une « science » indépendante ? L’économie n’est qu’un tout petit bout de l’écologie, elle-même partie de la physique. On a beaucoup donné de noms au 21ème siècle (le siècle de la religion, celui de l’information, celui de la culture, celui du virtuel etc.) Au vu de la façon dont il commence et de la poursuite du discours dominant, je propose de l’appeler au choix, » le siècle de l’effondrement » ou au minimum, « le siècle des yeux fermés ».