je suis écœuré !

Je suis écœuré par la première page du Monde (17.09.2008) qui présente un veau sous formol adjugé aux enchères 13 millions d’euros alors qu’il est si agréable de fréquenter les veaux sous leurs mères. Je suis écœuré par la mise en évidence page 1 et 3 de la course au yacht de luxe. Je suis écœuré que l’émir de Dubaï ou l’oligarque russe Abramovitch rivalisent dans la taille et l’équipement de leurs bateaux de plaisance. Je suis écœuré par la dernière phrase de la journaliste Marie-Béatrice Baudet, « Rien ne sera jamais trop beau ». Comme si des yachts personnels de plus de 160 mètres étaient admissibles, comme si aménager un jardin avec des arbres adultes sur un bateau ne faisait pas problème, comme si le fait que « mon bateau est plus beau que le tien » (titre de l’article) allait de soi. Je suis écœuré par cet étalage d’obscénités valorisées par mon quotidien préféré.

Je préfère me replonger dans mes lectures sur la vanité humaine :  

       

« Pour s’attirer et conserver l’estime des hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir ; il faut encore les mettre en évidence. En mettant sa richesse bien en vue, non seulement on fait sentir son importance aux autres, mais encore on affermit les raisons d’être satisfait de soi. L’homme comme il faut consomme à volonté et du meilleur, en nourriture, boissons, narcotiques, parures, divertissements. Comme on signale sa richesse en consommant ces produits plus parfaits, on en tire grand honneur. On l’appelle ici gaspillage parce que cette dépense n’est utile ni à la vie ni au bien-être des hommes. Mais aux yeux d’un économiste, ce genre de dépense n’est ni plus ni moins légitime qu’un autre. S’il a choisi ce genre de dépenses, la question est en effet tranchée : c’est qu’il y trouve relativement plus d’utilité que dans des formes de consommation sans gaspillage.  Il ne nous vient pas toujours à l’esprit que l’impératif de prodigalité ostensible est présent dans nos critères du bon goût, mais il n’en est pas moins contraignant et sélectif ; il forme et entretient notre sentiment du beau (…)

 Mais pour recueillir une approbation sans réserve, un fait économique doit recevoir la sanction de l’utilité impersonnelle, de l’utilité du point de vue génériquement humain. La conscience économique ne se satisfait pas de voir un individu faire bonne figure en se comparant à un autre, en rivalisant avec lui ; elle ne peut donc approuver la concurrence dépensière. La règle du désœuvrement exige que l’on soit futile, rigoureusement et complètement ; l’instinct artisan veut que l’on soit utile et agissant ».

(Thorstein Veblen, théorie de la classe de loisir, 1899)