Make in India, un rêve qui ne crée pas assez d’emploi

Elu en mai 2014 sur un projet d’industrialisation*, le premier ministre Narendra Modi tourne le dos aux enseignements de Gandhi et de Malthus. En Inde, 750 millions d’Indiens sur 1,25 milliard ont moins de 25 ans. D’ici à 2025, 10 à 12 millions d’actifs supplémentaires vont se présenter chaque année sur le marché du travail. Parallèlement, une quinzaine de millions d’emplois disparaîtront dans le secteur agricole. Si l’on veut éviter que le dividende démographique ne se transforme en génération perdue, ce sont 100 à 130 millions d’emplois qu’il faudrait créer, hors agriculture, dans les dix prochaines années. La pauvreté frappe 30 % des Indiens mais le choix industriel ne pourra pas créer suffisamment d’emploi, sans parler de l’exploitation programmée de la main d’œuvre. De plus il détériorera l’environnement, épuisement des ressources fossiles, émissions de gaz à effet de serre, pollutions diverses. L’Inde deviendrait avant 2025 le troisième importateur net de brut, derrière les Etats-Unis et la Chine, et le troisième émetteur de CO2.

L’Inde n’aurait jamais du abandonner la voie choisie par le mahatma Gandhi. Le premier mouvement de résistance non violente conduit par Gandhi, de 1919 à 1922, avait pour thème la charkha (petit instrument ancestral de filage) et le khadi (toile artisanale), base d’une prospérité écrasée par la « machinerie de Manchester ». Gandhi voyait un grand danger dans toute innovation propre à élargir le fossé entre possédants et pauvres en induisant des besoins asservissants et impossibles à satisfaire. Ce modèle, la philosophie du rouet, refusait techniques dures et intrusion des pays riches. Gandhi s’il était toujours en vie aurait certainement dit face à Modi : « Le renoncement à la voiture, même à la Tata Nano , sera un jour la loi pour tous. »

L’Inde aurait du suivre l’enseignement de Malthus. « Si nous laissons la population s’accroître trop rapidement, nous mourons misérablement, en proie à la pauvreté et aux maladies contagieuses. Le peuple doit s’envisager comme étant lui-même la cause principale de ses souffrances. Je suis persuadé qu’une connaissance pleine de la principale cause de la pauvreté est le moyen le plus sûr d’établir sur de solides fondements une liberté sage et raisonnable. La multitude qui fait les émeutes est le produit d’une population excédante. Le nombre des ouvriers étant accru dans une proportion plus forte que la quantité d’ouvrage à faire, le prix du travail ne peut manquer de tomber ; et le prix des subsistances haussera en même temps. Tous mes raisonnements et tous les faits que j’ai recueillis prouvent que, pour améliorer le sort des pauvres, il faut que le nombre proportionnel des naissances diminue. Il suffit d’améliorer les principes de l’administration civile et de répandre sur tous les individus les bienfaits de l’éducation. A la suite de ces opérations, on peut se tenir pour assuré qu’on verra une diminution des naissances. »**

* LE MONDE éco&entreprise du 17-18 mai 2015, Le pari industriel de Narendra Modi
** Essai sur le principe de population de Robert Malthus (1798)