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L’encyclique écolo du pape François
BIOSPHERE-INFO n° 360 (16 au 30 novembre 2015)
L’encyclique papale sur l’environnement, Laudato Si (loué sois-tu, sur la sauvegarde de la maison commune) est importante, même pour les non-croyants : « Aujourd’hui, croyants et non-croyants sont d’accord sur le fait que la Terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. ». C’est d’ailleurs le premier texte de ce type exclusivement consacré par un pape à la crise écologique.
Le pape François en appelle à « toute la famille humaine, croyants ou non, catholiques ou autres », à joindre leurs efforts pour surmonter la crise et engager un changement radical « de style de vie, de production et de consommation ». Il réfute l’idée que « l’économie actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes environnementaux », tout comme celle qui voudrait que « les problèmes de la faim et de la misère dans le monde se résolvent simplement par la croissance du marché ».
Voici quelques extraits, la numérotation étant celle des paragraphes telle que données par cette encyclique dédiée à toute personne de bonne volonté. Nous retracerons successivement les rapports du pape François à la nature, au climat, à la croissance, à la technologie et à la démographie.
1/5) Le pape François et la nature
- Chaque fois qu’il (St François d’Assise) regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures. Il entrait en communication avec toute la création, et il prêchait même aux fleurs « en les invitant à louer le Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison »… Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément.
- Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette famille et devrait donc faire un inventaire détaillé des espèces qu’il héberge, afin de développer des programmes et des stratégies de protection, en préservant avec un soin particulier les espèces en voie d’extinction.
- Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à «dominer» la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures.
- La façon correcte d’interpréter le concept d’être humain comme « seigneur » de l’univers est plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.
- Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature.
- Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un « biocentrisme », parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui ne résoudrait pas les problèmes mais en rajouterait d’autres.
- Les différentes créatures sont liées et constituent ces unités plus grandes que nous nommons écosystèmes. Nous ne les prenons pas en compte seulement pour déterminer quelle est leur utilisation rationnelle, mais en raison de leur valeur intrinsèque indépendante de cette utilisation. Tout comme chaque organisme est bon et admirable, en soi, parce qu’il est une créature de Dieu, il en est de même de l’ensemble harmonieux d’organismes dans un espace déterminé, fonctionnant comme un système. Bien que nous n’en ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble pour notre propre existence.
- La nature est pleine de mots d’amour, mais comment pourrions-nous les écouter au milieu du bruit constant, de la distraction permanente, ou du culte de l’apparence ?
2/5) Le pape François et le climat
- Le climat est un bien commun, de tous et pour tous. De nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement global est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis à cause de l’activité humaine. L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui la provoquent ou l’accentuent.
- Si la tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait être témoin de changements climatiques inédits et d’une destruction sans précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences pour nous tous.
- Les pires conséquences retomberont probablement sur les pays en développement. L’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est tragique : ces migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les conventions internationales.
- Beaucoup de ceux qui détiennent plus de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à occulter les symptômes.
- Les sommets mondiaux de ces dernières années sur l’environnement n’ont pas répondu aux attentes parce que, par manque de décision politique, ils ne sont pas parvenus à des accords généraux.
- La réduction des gaz à effet de serre exige honnêteté, courage et responsabilité, surtout de la part des pays les plus puissants et les plus polluants. La conférence des Nations Unies sur le développement durable, dénommée RIO+20 (Rio de Janeiro 2012), a émis un long et inefficace Document final. Les négociations climatiques ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position de pays qui mettent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général.
- La stratégie d’achat et de ventes de « crédits de carbone » peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Au contraire il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs.
35) Le pape François et la croissance
- Ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible des choses par l’imposition de la main humaine. De là, on en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la « presser » jusqu’aux limites et même au-delà des limites.
- Il est impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité productive. Par exemple, il y a une grande variété de systèmes alimentaires ruraux de petites dimensions qui continuent à alimenter la plus grande partie de la population mondiale, en utilisant une faible proportion du territoire et de l’eau, et en produisant peu de déchets. Les autorités ont la responsabilité de prendre des mesures de soutien clair et ferme aux petits producteurs et à la variété de la production.
- Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie. Nous pourrions laisser trop de décombres, de déserts et de saletés aux prochaines générations. Le rythme de consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses régions.
- On ne peut plus parler de développement durable sans une solidarité intergénérationnelle. Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planète aux générations futures, nous entrons dans la logique du don gratuit. La terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront.
- Le drame de « l’immédiateté » politique, soutenu aussi par des populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la croissance à court terme. La myopie de la logique du pouvoir ralentit l’intégration de l’agenda environnemental aux vues larges, dans l’agenda public des gouvernements.
- En certains lieux, se développent des coopératives pour l’exploitation d’énergies renouvelables, qui permettent l’auto-suffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités.
- Dans le schéma du gain il n’y a pas de place pour penser aux rythmes de la nature ni à la complexité des écosystèmes qui peuvent être gravement altérés par l’intervention humaine.
- Face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra penser à marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard. L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties.
- Etant donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique. Ce paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont une soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité une liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier.
- Quand les personnes deviennent autoréférentielles et s’isolent dans leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En effet, plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il n’est plus possible qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites. A cet horizon, un vrai bien commun n’existe pas. Nous ne pensons pas seulement à l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands désastres naturels, mais aussi bien aux catastrophes dérivant de crises sociales, parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction.
- Il ne faut pas penser que les efforts individuels ne vont pas changer le monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater, parce qu’elles suscitent un bien qui tend à se répandre toujours, parfois de façon invisible. En outre, le développement de ces comportements nous porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de faire l’expérience du fait qu’il vaut la peine de passer en ce monde.
- La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, de remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas.
- La sobriété, qui est vécue avec liberté et de façon consciente, est libératrice. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie.
4/5) Le pape François et la technologie
- La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre.
- Nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, nous donnent un terrible pouvoir. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir et rien ne garantit qu’elle servira toujours bien, surtout si on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser. Il suffit de se souvenir des bombes nucléaires lancées en plein XXe siècle, comme du grand déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par d’autres régimes totalitaires.
- On a tendance à croire que tout accroissement de puissance est en soi « progrès », comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique. L’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience.
- Il faut reconnaître que les objets produits par la technique ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et orientent les possibilités sociales dans la ligne des intérêts de groupes de pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont, en réalité, des choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
- De fait, la technique à un penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer. Ce qui est en jeu dans la technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme.
- Le paradigme technocratique tend à exercer son emprise sur l’économie et la politique. L’économie assume tout le développement technologique en fonction du profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain.
- La spécialisation de la technologie implique une grande difficulté pour regarder l’ensemble. Une science qui prétendrait offrir des solutions aux grandes questions devrait nécessairement prendre en compte ce qu’a produit la connaissance dans les autres domaines du savoir, y compris la philosophie et l’éthique sociale. La vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées par la technique.
- la culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler les choses qui sont entrelacées dans la réalité.
- La libération, par rapport au paradigme technocratique régnant a lieu, de fait, quand des communautés de petits producteurs optent pour des systèmes moins polluants, en soutenant un mode de consommation non consumériste.
- Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, et récupérer les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane.
- Suite à l’introduction des cultures transgéniques, on constate une concentration des terres productives entre les mains d’un petit nombre. L’extension de la surface de ces cultures détruit le réseau complexe des écosystèmes, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que l’avenir des économies régionales.
- La technique séparée de l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir.
- L’intelligence que l’on déploie pour un impressionnant développement technologique ne parvient pas à trouver des formes efficaces de gestion internationale pour résoudre les graves difficultés environnementales et sociales.
- Il ne s’agit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. Le discours sur la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie.
- Une stratégie de changement réel exige de repenser la totalité des processus, puisqu’il ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles pendant qu’on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la culture actuelle. Une saine politique devrait être capable d’assumer ces défis.
5/5) Le pape François et la démographie
- Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines politiques de « santé reproductive ». Mais s’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire. Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes… De toute façon il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire, tant au niveau national qu’au niveau global.
- Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement. Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent.
- La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même dans la rencontre avec celui qui est différent. De cette manière il est possible d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou femme, et de s’en enrichir réciproquement. Par conséquent l’attitude qui prétend effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter, n’est pas saine.
- Pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale.
- Un dialogue ouvert et respectueux devient aussi nécessaire entre les différents mouvements écologistes, où les luttes idéologiques ne manquent pas. La gravité de la crise écologique exige que tous nous pensions au bien commun et avancions sur un chemin de dialogue qui demande patience, ascèse et générosité.
Source : Laudato Si, lettre encyclique du souverain pontife
éditions Salvator, 194 pages pour 3,90 euros