Le Front national est de plus en plus considéré comme un possible parti de gouvernement, ce qui signifie que même ceux qui ne franchissent pas le pas du bulletin de vote considèrent que d’être un peu radical est peut-être une bonne idée. Le cas le plus emblématique est celui de la Grèce, qui a vu arriver dans son parlement des néonazis (des vrais) d’Aube dorée. Un parti qui n’était jamais parvenu à faire à élire des députés depuis plus de vingt ans. Ce qui a changé, c’est le contexte. Suite à la crise de 2009, provoquée en Europe par un problème d’approvisionnement en pétrole, les fonctionnaires hellènes ont vu leur rémunération baisser de plusieurs dizaines de pour cent, et la part des adultes déclarant un emploi est passée de 50 % en 2008 à 39 % en 2013.
Ce qui se produit ici et là, en réalité, ce sont les symptômes d’une démocratie qui commence à buter sur le monde fini, alors qu’elle a essentiellement vu le jour et prospéré dans le monde en croissance. L’énergie abondante permet en effet d’augmenter la production de tout et n’importe quoi, donc d’augmenter la redistribution. A l’inverse, il est des libertés « démocratiques » qui ne peuvent plus s’exercer dans le monde fini. Comment décider « démocratiquement » que la surface de logement par personne doit rester stable, ou, pire, être réduite si la population augmente. Il est facile de voir que, dès qu’une assemblée élue est appelée à se prononcer, elle sait mieux s’accorder sur la manière de donner plus que sur la manière de donner moins. Cela va nous permettre de revenir au vote FN.
Depuis 2000, ce vote est maximal dans les couronnes périurbaines qui se situent de 30 à 50 kilomètres des grandes villes. Cette caractéristique est totalement indépendante de la présence d’immigrés ! Ce mystère cesse d’en être un si l’on revient aux fondamentaux, c’est-à-dire à l’énergie. Moins les ménages gagnent d’argent, et plus ils habitent loin du centre, plus la distance qui les sépare de leur emploi est grande, plus ils sont au chômage lors d’une crise. Or le coût au kilomètre d’une voiture est de l’ordre de 30 centimes, le carburant compte pour 6 à 7 centimes. Derrière le vote Le Pen, on trouve donc un baril de pétrole. Tant que les élus dits républicains ne feront pas l’effort de comprendre que la condition première de réalisation de leurs promesses est une augmentation de l’approvisionnement énergétique, et que cette dernière est devenue impossible en France et en Europe depuis les années 2000, ils seront poussés à continuer à faire des promesses irréalistes, et feront ainsi le jeu des extrêmes.
La solution est simple, il faut montrer le lien entre la physique et l’économie, montrer la situation physique réelle du pays, ce que cela permet et ne permet plus. Il faut aussi mettre la décarbonation de l’économie au cœur des programmes politiques (même en France, les combustibles fossiles représentent 70 % de la consommation d’énergie finale). Si nous ne le faisons pas, cela va déboucher sur une récession structurelle avec le déclin de l’approvisionnement fossile. La seule manière d’échapper à l’extrémisme est d’avoir le sentiment que l’on reste maître de son destin. Il s’agit de passer d’un état de contraction subie à un état de stabilité gérée. Certes, tout changer est un plan à cinquante ou cent ans, mais n’est-ce pas d’un plan réaliste dont nous avons besoin aujourd’hui ? Arrêtons de prendre l’électeur pour un benêt en lui promettant monts et merveilles. De nombreux sondages montrent désormais que nos concitoyens ont bien compris que le temps de la corne d’abondance était révolu.
Source : Dormez tranquilles jusqu’en 2100 (et autres malentendus sur le climat et l’énergie) de Jean-Marc Jancovici
Odile Jacob 2015, 204 pages pour 19,90 euros