Quelques extraits d’un dialogue* entre José Bové et Erri de Luca sur cette thématique.
Erri de Luca : J’ai toujours besoin de confronter la position de l’autorité avec ma conscience…
José Bové : Depuis tout jeune, je n’ai jamais pris l’autorité extérieure, celle des pouvoirs auxquels on est confronté, comme un fait établi d’autorité. Pour moi, l’obéissance imposée est une chose que j’ai toujours interrogée.
Erri de Luca : Il faut avoir du courage physique, le courage aussi de se retrouver isolé du reste de la communauté, pour prononcer son mot d’opposition.
José Bové : J’ai été confronté au problème des mots liés à l’action. C’était en 1999 quand nous avons démonté le McDo à Millau. Le lendemain, la presse ne parlait pas du démontage festif, mais de saccage. Cela a été très dur de voir qu’une action non violente avec un but politique très clair était transformée par le jeu médiatique de manière négative.
Erri de Luca : Pour nous, la justice n’est pas un recueil de codes et de loi, c’est un sentiment. La légalité ne coïncide presque jamais avec la justice. La légalité, il faut la vérifier dans toutes ses manifestations.
José Bové : J’ai eu cette chance extraordinaire, alors que j’avais été insoumis au service militaire, que naisse le grand mouvement qu’a été la lutte contre l’extension du camp militaire sur le Larzac. Depuis l’âge de quinze-seize ans, mon seul rêve était de devenir paysan. Pendant trente ans, jusqu’en 2009, j’ai pu vivre de ce métier, vivre avec ma famille, mes brebis, faire du fromage. Cela a été pour moi quelque chose d’important parce que ça fait partie de la culture non-violente. J’ai retenu de Gandhi qu’il fallait être cohérent à la fois dans sa lutte et dans sa vie quotidienne.
Erri de Luca : Dans la lutte menée par José, il y a une résistance contre la soumission de la nature.
José Bové : Nous sommes maintenant dans une logique du vivant construit et vendu en pièces détachées que l’on peut assembler, recombiner. C’est une pure folie, un abandon de l’éthique écologiste.
Erri de Luca : Le «non» d’aujourd’hui, c’est le « oui» de demain. On devrait se mobiliser contre le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin qui va empoisonner le val de Suse, s’opposer aux forages en mer Adriatique…
José Bové : Reconnaître que la nature est un élément indépassable, c’est être libre dans un espace donné.
Erri de Luca : Accepter les limites, c’est connaître sa mesure, notre condition d’infériorité sur cette planète.
* Du sentiment de justice et du devoir de désobéir (Conversation entre José Bové et Erri de Luca animée par Gilles Luneau)
éditions indigène, 44 pages pour 4 euros