Gilles Boyer est le directeur de campagne d’Alain Juppé pour la primaire de la droite en 2016. Quand on lit son interview il y a un an à propos de son dernier roman, « Un monde pour Stella », on se dit qu’EELV pourrait être rapidement dépassé sur sa droite en matière d’écologie ! Le sujet de son roman : en 2045, une économiste doit sauver la planète.
Dans votre roman, les Présidents chinois et américain s’entendent pour sauver la planète. Un monde pour Stella ne devrait-il pas être distribué à tous les chefs d’Etat et de gouvernement ?
Les dirigeants du monde sont à la fois le problème et la solution. S’ils ont tous plus ou moins à relever des défis similaires (la qualité de l’air, l’accès à l’eau, le niveau de vie…), ils continuent à raisonner en fonction de la situation de leur pays, et non de manière globale. La difficulté n’est pas l’identification du diagnostic ou des remèdes, elle est dans l’application du traitement.
Dans votre livre, beaucoup de chiffres font froid dans le dos. En 2045, on serait à 800 catastrophes naturelles par an au lieu de 200 aujourd’hui… Ils sont vrais ?
Ces chiffres sont des projections couramment admises pour 2045. Comme toutes les projections, elles sont contestables, mais il n’est pas impossible qu’elles soient vraies. En tout cas, elles sont crédibles et si aucune action massive n’est entreprise pour les inverser, il y a des chances qu’elles deviennent réalité. Ce qui est frappant, c’est que les extrêmes deviennent la norme en toute chose. En matière climatique, nous battons des records tous les jours. Ce n’est pas tenable ! Juillet 2015 a été le mois le plus chaud de tous les temps. Pouvons-nous l’ignorer ? Lorsque les extrêmes deviennent la norme en matière de disparition des espèces, de hausse des températures mais aussi de dérèglements économiques ou de creusement des inégalités sociales, on ne peut pas dire que la planète tourne rond.
Sur les climatosceptiques, votre héroïne dit : « Si nous les écoutons et qu’ils ont tort, nous mourrons ; si nous ne les écoutons pas et qu’ils ont raison, nous aurons malgré tout construit un monde meilleur. » C’est votre conviction ?
Il arrive que mon héroïne dise ce que je pense ! Il existe un consensus scientifique pour reconnaître la responsabilité de l’homme sur les dérèglements de la planète. Qui dit consensus ne dit pas unanimité. Mais lorsque 97 % des études scientifiques convergent, pourquoi accorder aux 3 % restants une place aussi importante dans le débat médiatique ? Je considère que les climatosceptiques sont irresponsables car ils n’auront pas à assumer les conséquences de leurs actes.
L’une de vos conclusions, c’est que l’écologie est d’abord une question d’économie…
On les oppose comme si l’une était l’ennemie de l’autre. Pourtant l’écologie survivrait à un effondrement de l’économie mais pas l’inverse. Il n’y a aucune raison de privilégier durablement l’économie sur l’écologie. Je propose simplement de prendre en compte la dimension de développement durable dans les décisions économiques. Ce qui implique de réfléchir le plus souvent plutôt à long qu’à court terme. A supposer que l’économie et l’écologie soient des ennemies, ce que je réfute, dans ce cas, c’est l’environnement qu’il faudrait privilégier. Lorsque l’on attribue les Jeux olympiques d’hiver à Pékin, qui est à 43 mètres d’altitude, est-ce raisonnable ? Lorsque l’on annonce la construction de la plus grande piste de ski – 1,2 km de long – à Dubaï, en plein désert, est-ce raisonnable ? Lorsque, cet été, je lis que l’on a abattu 30 arbres en Vendée pour laisser passer un convoi exceptionnel (le remorqueur d’un navire géant), est-ce raisonnable ? Ce n’est pas naturel. Mais plus personne ne s’en indigne ou, plus exactement, on n’écoute plus ceux qui le font.
Les propositions avancées à la fin de votre livre sont radicales : ne plus manger de viande, ne plus boire de lait… On en est là ?
Nous allons devoir apprendre à nous passer de certaines choses. Soit nous le faisons spontanément, progressivement, soit nous y serons contraints brutalement. Dans un restaurant, choisir de temps en temps de ne pas prendre de viande n’est pas radical : soyons conscients qu’il a fallu 3 000 litres d’eau pour qu’elle arrive dans notre assiette. Si chacun d’entre nous rend chaque jour un arbitrage, fût-il mineur, favorable à l’environnement, on aura déjà accompli un énorme chemin. L’objectif, c’est que le lecteur garde une trace de ce livre dans ses microcomportements quotidiens. Je refuse de tomber dans le terrorisme de la pensée écologique. Mais il faut agir.
Un monde pour Stella est-il la déclinaison de Je ne mangerai plus de cerises en hiver d’Alain Juppé, un roman qui permet de mieux faire passer certaines idées qu’un essai ?
En ce qui concerne Alain Juppé, je peux dire que c’est lui qui m’a éveillé au sujet. Il est revenu différent de son séjour au Canada, il y a dix ans. A Bordeaux, à chaque fois qu’il a lancé un chantier, je l’ai vu prendre en compte la dimension environnementale. En 2007, c’est lui qui a voulu et conçu le grand ministère du Développement durable, dont il a été malheureusement le titulaire le moins durable ! Mais l’idée était là : la prise en compte de l’écologie dans chaque décision publique.
La planète sera-t-elle un enjeu de la primaire ?
C’est terrifiant que la question soit formulée comme cela. Si on répond oui, on manque malheureusement de lucidité. Si on répond non, cela en dit long sur notre vie politique. Il y a une distorsion temporelle incontestable entre les exigences requises pour protéger la planète et le rythme électoral, qui complique les choses. Mais s’il y en a un qui est conscient de l’enjeu environnemental, c’est Alain Juppé. Il parle déjà d’une croissance sobre pour demain. Même si ce n’est jamais simple lorsque vous vous adressez à des Français qui ont du mal à joindre les deux bouts. Nous devrons faire comprendre que c’est la condition de la croissance de demain.