L’absence de Malthus parmi l’anthologie « les précurseurs de la décroissance »* pose problème. Voici comment cette compilation aborde la question démographique :
p.61, En étendant la thèse des rendements décroissants de Malthus et Ricardo à l’industrie, John Stuart Mill conclut à la fin nécessaire de la croissance : le dynamisme de la vie économique vient butter sur rien d’autre que la finitude de la planète – l’insuffisance de terres fertiles, l’épuisement des mines, les limites de la planète.
p.69, Selon Serguei Podolinsky, si l’intuition des limites physiques de la croissance économique remonte sans doute à Malthus, elle ne trouve son fondement scientifique qu’avec Sadi Carnot et son esquisse de ce qu’on appellera le « deuxième principe de la thermodynamique ».
p.111, Pour Nicholas Georgescu-Roegen, il ne faisait pas de doute que, d’ores et déjà, la terre était surpeuplée et qu’il fallait organiser une sérieuse réduction de la population, transition démographique qui devrait être débattue démocratiquement et réalisée avec tous les ménagements et les délais nécessaires. Déjà en 1975, il proposait un programme dont le point 3 stipulait une « diminution progressive de la population jusqu`à un niveau ou une agriculture organique suffira à la nourrir convenablement ».
p.130, Apres avoir montré la menace que l’homme faisait peser sur la biosphère, Arne Naess proposa, en 1973, une thèse programmatique en huit points dont le cinquième a donné lieu à de vives controverses. Celui-ci affirmait que « l’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine requiert une telle diminution ». Il précisait par ailleurs qu’« il n’y a aucune planète disponible » pour supporter huit milliards d’individus. Ce point de vue écocentrique est généralement critique par les objecteurs de croissance qui ne le reprennent pas à leur compte.
Il est significatif que certains écrits malthusiens soient complètement ignorés, comme « l’Explosion démographique » d’Albert Jacquard, analyste pourtant étudié dans cette anthologie. Nous renvoyons aux auteurs de cette compilation leur propre expression (p. 221) : « L’intransigeance dans les convictions politiques ne doit pas conduire à la fermeture de la pensée, ni au refus systématique du dialogue et de la confrontation sur le plan des idées ». Il faut attendre la page 203 pour qu’une régulation des naissances soit envisagée, sans doute parce que les compilateurs n’ont pas osé censurer les propos d’une femme féministe :
p.203, L’écoféministe Françoise d’Eaubonne fait une critique en règle du productivisme et dénonce l’imposture de la croissance démographique, en appelant carrément à la grève des ventres. Ayant dévore le rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance, elle en tire la conclusion que cela implique une limitation de la population : « La destruction des sols et l’épuisement des ressources signalés par tous les travaux écologistes correspondent à une surexploitation parallèle à la surfécondation de l’espèce humaine. Cette surexploitation basée sur la mentalité typique de l’illimitisme est un des piliers culturels du Système male. » La surpopulation est donc, selon elle, la conséquence du « lapinisme phallocratique » La décroissance doit être aussi, voire surtout, démographique, mais néanmoins sélective : « Quand on sait qu’un petit Américain ou Suisse va détruire davantage que dix Boliviens, on mesure avec précision l’urgence d’un contrôle démographique mondial par les femmes de tous les pays. La seule solution a l’inflation démographique, c’est la libération des femmes, et partout à la fois. »
* Les précurseurs de la décroissance, une anthologie
Bonjour.
Laissons donc tomber les végés et revenons à Malthus, que les compilateurs de la décroissance auraient oublié.
Malthus s’est focalisé sur le problème de la démographie, il a théorisé sur cette idée toute simple (simpliste), cette « loi naturelle » selon laquelle les pauvres engendraient des pauvres. Comme tout le monde, Malthus n’aimait pas la pauvreté …
Nous sommes aujourd’hui plus de 7 milliards sur cette planète, l’ONU en prévoit 11 milliards en 2100. (L’ONU n’a pas de boule de cristal ni d’ailleurs personne.) Et nous lisons, entendons, ci et là … que nous sommes trop nombreux. C’est sûr que des centaines de milliers de personnes, ça commence à faire du monde, alors je vous laisse imaginer des milliards. Certains n’hésitent pas à comparer l’homme à un cancer qui prolifère. Sous l’emprise d’émotions, parce qu’ils ont vu à la télé des images chocs, certains ne se cachent plus pour vomir leur haine de l’homme et souhaitent la disparition de leur propre espèce. (Bon débarras !)
Curieuse époque, curieuse façon de penser… Généralement se mélangent des idées que nous retrouvons dans l’antispécisme, le malthusianisme (néomalthusianisme), eugénisme et autres. Je ne vois là que des signes du nihilisme.
Il est évident que la démographie représente un problème. Une planète finie ne peut supporter un nombre infini d’habitants. Combien peut-elle en supporter ? Je n’en sais rien, notre planète pourrait nourrir 15 milliards d’humains, dit-on… Quoi qu’il en soit, nourrir ne veut pas dire gaver.
Mais devant la réalité qui est la notre, celle où ces quelques 20% , dont nous faisons partie, s’accaparent 80% des ressources, s’autorisent à jeter à la poubelle plus du tiers de la nourriture produite, vivent dans la démesure et consomment l’équivalent de plusieurs planètes et en demandent toujours plus… les décroissants ont raison de ne se focaliser que sur ce mode de vie occidental, basé sur la croissance économique.
Quand bien même voudrions-nous agir pour freiner ou faire baisser la démographie, que pourrions-nous faire concrètement ? Jamais les « dénatalistes » ne répondent à cette question. Ils parlent d’éducation et d’aides… alors qu’ils savent bien que c’est du même tonneau que ces mesurettes, ces petits gestes « écocitoyens » que prônent les « écotartuffes ». Fermer le robinet en se lavant les dents, enseigner le port du préservatif dès la maternelle… comme si c’est ça qui allait « sauver » la planète.
Laissons Malthus, Ricardo et consorts à l’histoire, il est évidemment intéressant de les lire et de les étudier.
@Michel C,
J’entendais moi aussi le mot « idéologie » comme système d’idées », et moi non plus ne lui donnais aucun sens négatif.
Simplement, par définition, le végétarisme et le véganisme sont de simple régimes alimentaires. Quand un végan milite contre la maltraitance faite aux animaux, il défend l’idéologie de la défense de la cause animale, l’idéologie éthique, mais ce n’est pas son véganisme en lui-même (autrement dit, son régime) qui l’amène naturellement à l’idéologie.
Pour m’exprimez autrement, la promotion du véganisme est une idéologie, mais le véganisme en lui-même n’est pas une idéologie. Le véganisme n’est en soi qu’un acte (ou plutôt un non-acte, puisqu’il s’agit de s’abstenir de manger de la nourriture animale).
En fait, nous ne divergeons pas sur le mot « idéologie », mais sur la signification des mots « végétarisme » et « véganisme », que vous confondez respectivement avec « promotion du végétarisme » et « promotion du véganisme ». La frontière est peut-être très peu courante en pratique, mais en théorie, elle peut exister.
@ Invité2018
Pour conclure sur ce point, parce que là nous nous éloignons du sujet de l’article.
Je pense que nous divergeons sur le sens du mot « idéologie ».
J’ai dis que j’entendais le mot « idéologie » tout simplement comme « système d’idées » , donc pas du tout dans un sens a priori négatif. Et peu importe l’origine de ces idées.
Le prosélytisme ne peut être qu’idéologique puisqu’il vise à convertir à ses idées.
C’est le dogmatisme qui pose problème, dans la mesure où il cherche à imposer son idéologie comme des vérités absolues et indiscutables.
En s’accordant sur le sens des mots, je pense que nous devrions finalement être d’accord.
Bonsoir @Michel C.
1/Théoriquement, le végétarien peut avoir des motivations éthiques, ou non.
Il en existe bien d’autre (religieuse, sanitaire, écologique…)
2/Wikipédia a dit que ce mode de vie découlait généralement d’une certaine idéologie.
C’est bien écrit « généralement », autrement dit, ce n’est pas une vérité absolue. Donc que le végétarisme ne soit pas en lui-même idéologique n’est pas remis en cause.
3/Vous écrivez : « D’autre part, force est de constater que la façon de faire de certains végés ne se limite pas à leur façon de manger, mais aussi à faire du prosélytisme ».
C’est entièrement vrai, mais les végans qui font ce prosélytisme idéologique le font non pas en raison de mais malgré le fait qu’ils soient végans. Donc ce ne sont ni le végétarisme ni le véganisme qui constituent des idéologies, mais ce que certains adeptes prônent en parallèle.
@ Invité2018
Bonjour
Je suis bien d’accord, mais quoi qu’il en soit les végétariens (et autres végés) s’appliquent un régime alimentaire particulier pour des raisons précises, et notamment éthiques. Or l’éthique est quelque chose de subjectif.
Wikipedia écrit : » L’adoption de ce mode de vie découle généralement d’une idéologie qui propose une redéfinition normative de ce que devraient être les relations des humains aux animaux. »
D’autre part, force est de constater que la façon de faire de certains végés ne se limite pas à leur façon de manger, mais aussi à faire du prosélytisme. Or, lorsqu’on considère que sa vision du monde est la seule qui tienne… la frontière est mince entre prosélytisme et dogmatisme. C’est exactement ce qui se passe avec ce néo-malthusianisme et tous ces « dénatalistes » qui diffusent leur propagande à tout va.
@Michel C,
Le végétarisme consiste simplement par définition à ne rien manger qui contienne de la chair animale, donc à ne consommer ni viande, ni poisson, ni fruits de mer… Cela n’impose ni n’interdit aucune idée.
Le végétarien qui se convertira à un dogme le fera non pas parce que végétarien mais bien que végétarien.
Discussion intéressante.
L’Invité 2018 dit que le végétarisme n’est pas une idéologie… je pense exactement le contraire. Et je dirais même qu’il est un véritable un dogme chez certains. Une idéologie n’étant avant tout qu’un système d’idées.
Comme Didier Barthès je pense que les jugements de valeurs et la morale, doivent être remis dans le contexte de leur époque.
Ceci dit je ne fait absolument pas partie de ces néomalthusiens et autres dénatalistes. Pour moi le plus gros problème ne se situe pas du côté de la démographie, mais plutôt du côté de la démesure d’une minorité sur cette planète.
Le végétarisme n’est pas une idéologie, mais un mode de vie. Le sexisme est quant à lui une idéologie.
Néanmoins, je vous assure que je suis cohérent(e) et que mon indignation n’est pas sélective.
Parmi les maltraitances infligées aux non-humains, ne sont critiquées moralement que les plus extrêmes. Encore de nos jours, exiger que jamais aucun nourrisson ne soit séparé de sa mère, qu’aucun animal ne soit inséminé ni ne subisse la moindre mutilation, l’abolition de la chasse, celle de la pêche, que les chevaux ne soit plus montés, que les bovins ait le droit d’être nourri exclusivement à l’herbe bio, que tous les animaux enfermés dans des zoos soient remis en liberté dans leur milieu naturel, la possibilité à tout animal domestique d’avoir constamment de la bonne nourriture à volonté à disposition, et que jamais aucun être vivant ne soit enfermé dans aucune cage, c’est aussi inimaginable populairement que ne l’était le sexisme au XVIIIème siècle, c’est perçu comme agréable et généreux en cette année 2016, et bien que presque chaque personne parmi mes contemporains perçoivent au moins l’une de ces atrocités comme normale, je considère et dois considérer ces dernières comme inadmissibles.
Il est impératif que jamais aucun relativisme culturel ne soit reconnu. Et que les gens soutenant des idées réactionnaires ne soient pas des monstres cruels ne change rien au fait qu’il doive être dit sans réserves que les idées réactionnaires en question sont des idées réactionnaires monstrueuses.
Bien sûr Invité 2018, vous avez raison, l’essentiel est dans le constat et non dans l’appréciation personnelle du personnage de Malthus et effectivement je dois reconnaître aussi que vous n’aviez pas placé le débat sur le plan moral. C’est moi qui y suis venu et j’accepte pleinement votre réponse, bon néanmoins sur le plan moral je continue un peu en élargissant la question au-delà de Malthus.En effet en ce qui concerne les idéologies « réactionnaires » je suis plus prudent, je pense qu’il est très difficile de s’abstraire de son époque et bien des gens qui défendaient des points de vue qui nous jugerions comme dépassés aujourd’hui, pouvaient être tout à fait agréables et généreux en leur temps.
Si par exemple un jour la viande est interdite et que le végétarisme devient la norme, tous les non-végétariens de notre époque devront-ils passer pour des monstres assoiffés de sang aux regard des générations futures ? Eux-même aujourd’hui ne se conçoivent pas ainsi et ce serait sans doute un jugement injuste même si la souffrance animale est plus qu’effroyable. Beaucoup de gens prennent aussi des habitudes tout jeunes sans le recul nécessaire, il est si difficile de juger.
L’habitude fait vite la norme sans que nous en ayons toujours conscience et sur beaucoup de points nous sommes sans doute tous victimes de ce processus.
Bonjour monsieur Barthès.
Je n’ai pas parlé de juger moralement Malthus, je disais juste que s’il avait été aussi sexiste que ses contemporain il y avait une bonne raison de refuser de dire du bien de ou de se revendiquer de sa personne. Je rappelle au passage qu’aucun contexte d’aucune époque ne peut excuser quelque idéologie réactionnaire.
Il faut de chaque personne, prendre les bonnes idéologies et combattre celles absurdes ou néfastes. Je ne juge pas les gens qui mentionnent le nom de Malthus, mais je rappelle que l’essentiel est de faire le constat de la dangerosité de l’explosion démographique, sans qu’il soit nécessaire de citer le nom de Malthus ou celui de qui que ce soit d’autre.
Bonjour invité 2018
Malthus est de son époque, il est donc très difficile de le juger moralement à partir de ce qui est considéré comme normal à la nôtre. En particulier sur le sexisme, c’était une autre époque, on ne peut émettre aucun jugement moral, les gens voyaient globalement les choses tout à fait autrement et les rôles entre les hommes et les femmes étaient beaucoup plus tranchés qu’aujourd’hui, le regard des gens sur cette situation ne pouvait à l’époque être le même que celui que nous avons rétrospectivement. Cette remarque s’applique bien entendu à des tas de sujets
Pour ma part tout ce que j’ai lu de son ouvrage « Essai sur le principe de population » m’a plutôt donné l’image d’un homme extrêmement brillant mais aussi assez gentil. En particulier la caricature qui est faite de lui en ce qui concerne la pauvreté est très injuste et il s’explique bien là dessus. Soit on isole les phrases de leur contexte soit on fait semblant de les comprendre dans un autre sens que celui qu’il voulait donner.
Ce n’est pas Malthus lui-même qu’il est nécessaire de soutenir, mais la thèse de Malthus révélant l’évidence selon laquelle les ressources de la planète sont limitées.
Mais on peut dénoncer Malthus sur d’autres points n’ayant rien à voir. Par exemple, étant donné son époque et sa fonction de pasteur, il est probable qu’il ait été favorable au sexisme, ce qui serait un motif légitime pour refuser de se revendiquer de sa personne.
En effet même chez de nombreux intellectuels pourtant brillants sur d’autres sujets et parfaitement conscients des limites de notre Terre et de la nécessité de décroître, on trouve des jugements bien injustes sur Malthus. Au mieux il est ignoré.
On a d’ailleurs demandé a beaucoup d’étudiants en sciences économiques de répéter à longueur de copie tout le mal qu’on devait dire du pasteur anglais.
Son absence dans les références retenues par les décroissants est un véritable déni, c’est une faute.
Certains toutefois le défendent, comme je l’ai fait dans cet article:
http://economiedurable.over-blog.com/article-l-injustice-faite-a-malthus-77189014.html
Notez aussi que quelqu’un comme l’historien Georges Minois est parfaitement conscient des apports de Malthus et lui rend hommage.
Il serait bon que les écologistes aussi sachent comprendre ce qu’ils doivent à Malthus. C’est d’une certaine façon l’un des premiers à avoir compris les contraintes liées aux limites de la planète.