LeMonde du 10 juin estime dans son éditorial que « le vert est mis ». Mais le couvert ne sera pas à la hauteur. Pourquoi ? Parce que nous nous refusons à envisager l’état de mobilisation extrême qu’il faudrait avoir face aux différents périls à la fois financiers et écologiques qui vont nous submerger. Parce que LeMonde croit que « la décroissance laisserait entier le problème de la pauvreté ».
Il faut que les journalistes, les politiques et les économistes découvrent que l’état de pauvreté n’est pas un mal en soi. Dans son livre Quand la misère chasse la pauvreté, Majid RAHNEMA nous démontre que la pauvreté choisie est la condition de lutte contre la misère. Il y a d’un côté la pauvreté consentie dans des sociétés conviviales dont le mode de vie simple et respectueux de tous a compté pour beaucoup dans le maintien des grands équilibres humains et naturels au cours de l’histoire. Si chacun ne conservait que ce dont il a besoin et se contentait de ce qu’il a, nul ne manquerait de rien. Toutes les sociétés vernaculaires dites « pauvres » développent en leur sein des mécanismes destinés, d’une part, à contenir l’envie et la convoitise, tout en maintenant une tension positive entre ce qu’il est personnellement possible de vouloir et d’avoir et ce qu’il est collectivement possible et raisonnable de produire. Cette tension leur a permis de développer leurs capacités productives sans qu’il y ait rupture entre les besoins et les ressources. De l’autre côté, dans la société de croissance, il y a les insupportables privations subies par une multitude d’humains acculés à des misères humiliantes et la misère morale des classes possédantes.
Les journalistes, les politiques et les économistes devraient donc se donner comme objectif la destruction des centres de production de la rareté, c’est-à-dire cette lutte contre « la pauvreté » qui définit un seuil de pauvreté de façon relative, un niveau qui progresse continuellement avec la courbe de la croissance économique et qui mène la société thermo-industrielle au bord d’une catastrophe.
Un témoignage sur la pauvreté volontaire (Fatu Hiva, le retour à la nature de Thor Heyerdahl) :
Sous le climat merveilleux de Fatu Hiva, le temps prenait des dimensions différentes, lorsqu’on le mesurait au soleil, aux oiseaux et à l’appétit, plutôt que de le hacher en secondes et en heures. Notre perception devenait différente et plus nette ; nous respirions, regardions et écoutions comme de jeunes enfants assistent à des miracles. Nous étions riches, nous pouvions ramasser des gouttes d’eau à la pelle et les laisser ruisseler entre nos doigts et nous échapper, puisqu’une infinité d’autres continuaient à jaillir du rocher. Loin de nous sentir pauvres et nus, nous nous sentions riches, comme si l’univers nous enveloppait. Nous faisions partie d’un tout.
Je ne sens pas le mot « pauvreté » comme adéquat dans ce texte. Mais je n’en trouve pas d’autre, sinon quelques connotations comme la frugalité, la parcimonie, l’austérité. On dit que « pauvreté n’est pas vice », ce qui n’en fait donc pas une vertu. Quant à créer et entretenir la pauvreté, c’est la raison d’être de notre belle société JC. Il n’y a pas que des élus aux paradis. Il en faut aussi ici bas, et peu importe la misère sur laquelle ils s’appuient.