Seule notre époque, l’époque de la mécanisation triomphante, nous permet d’éprouver réellement la pente naturelle de la machine, qui consiste à rendre impossible toute vie humaine authentique. Combien de fois ne nous a-t-on rebattu les oreilles avec le couplet bourratif sur les « machines, notre nouvelle race d’esclaves, qui permettront à l’humanité de se libérer », etc. Des machines pour nous épargner de la peine, des machines pour nous épargner des efforts de pensée, pour nous épargner de la souffrance, pour gagner en efficacité, en organisation, toujours plus d’efficacité, toujours plus d’organisation, toujours plus de machines, jusqu’à ce que nous débouchions sur cette utopie si justement épinglée dans Le meilleur des mondes de Wells, le paradis des petits hommes grassouillets. Naturellement, les petits hommes grassouillets ne se voient ni petits ni grassouillets : plutôt pareils à des dieux. A l’image de la drogue, la machine est à la fois utile et dangereuse. Plus on s’y adonne, plus son emprise se fait tyrannique.
Une machine évolue en s’automatisant, la finalité ultime du progrès mécanique est d’aboutir à un monde entièrement automatisé. La vérité, c’est que quand un être humain n’est pas en train de manger, boire, dormir, faire l’amour ou simplement se prélasser sans souci, il éprouve le besoin de travailler. Dès que l’on dépasse le stade de l’idiot du village, on découvre que la vie doit être vécue dans une très large mesure en termes d’effort. Car l’homme n’est pas un estomac monté sur pattes. Il a aussi une main, un œil et un cerveau. Renoncez à l’usage de vos mains et vous aurez perdu une grande part de ce qui fait votre personnalité. Pourquoi la force physique se maintiendrait-elle dans un monde rendant inutile tout effort physique ? Mécanisez le monde à outrance, et partout où vous irez vous buterez sur une machine qui vous barrera toute possibilité de travail – c’est-à-dire de vie. L’aboutissement logique du progrès mécanique est de réduire l’être humain à quelque chose qui tiendrait du cerveau enfermé dans un bocal. Dans les pays hautement mécanisé, les aliments en boîte, la conservation par le froid, les arômes synthétiques ont fait du palais un organe quasiment mort. Partout vous assisterez au triomphe du tape-à-l’oeil fabriqué à la chaîne avec un goût de sciure de bois. Ils sont aujourd’hui des millions – et leur nombre ne cesse de croître – ces gens pour qui les crachotements nasillards de la TSF (télévision sans fil) constituent un fond sonore plus « naturel » que les meuglements des troupeaux et le chant de oiseaux. La mécanisation conduit à la perversion du goût, la perversion du goût à une demande accrue d’articles fabriqués à la machine, et donc à une mécanisation toujours plus poussée, et c’est ainsi que la boucle est bouclée. Tout effort visant à contrôler le développement de la machine nous apparaît comme une atteinte à la science, c’est-à-dire comme une sorte de blasphème. Dans tous les pays du monde, la grande armée des savants et des techniciens, suivie tant bien que mal par toute une humanité haletante, s’avance sur la route du « progrès » avec la détermination aveugle d’une colonne de fourmis.
Expliquez à un socialiste que vous souhaitez parvenir à une vie plus simple et plus dure au lieu d’une vie plus molle et plus compliquée, il vous rétorquera presque inévitablement que vous voulez revenir à « l’état de nature », c’est-à-dire à quelque nauséabonde caverne du paléolithique : comme s’il n’y avait pas de moyen terme entre un éclat de silex et les aciéries de Sheffield ! Dans un monde en bonne santé, il n’y aurait pas de demande pour les boîtes de conserve, l’aspirine, les gramophones, les journaux quotidiens, les mitrailleuses, les automobiles, etc. On se disputerait en revanche les objets que la machine est incapable de produire. (George Orwell, Le quai de Wigan, 1937)
In « George Orwell » ou la vie ordinaire (présentation de «Stéphane Leménorel)
collection « les précurseurs de la décroissance », édition passager clandestin 2017
Bonjour monsieur Barthès.
En fait, mon commentaire visait non pas à vraiment contredire ce que vous disiez (je n’avais pas bien compris le sens de votre message, et ne serai probablement jamais sûr(e) de l’avoir compris à 100%) mais avant tout à le nuancer.
Il est évident que le bilan moral de la remise en cause de la médecine sera globalement négatif, mais il est vrai que cette même évidence n’empêche pas de dire que la médecine a ses défauts. Au contraire, je pense que s’intéressait au défaut de la médecine permettra de sauvegarder cette dernière voire la renforcer.
La médecine est une bénédiction tant à court terme qu’à long terme. Cela ne veut pas dire qu’actuellement elle est optimale. Il n’est pas facho de chercher à étudier ses failles.
Bonjour Invité 2018
J’admets parfaitement que la médecine nous rend de grands services et à moi aussi d’ailleurs, par contre oui je maintiens que pour l’espèce et dans le long terme elle conduira sans doute à un drame.
Nous ne nous soumettons plus à la sélection naturelle. Si demain notre espèce devait être soumises aux conditions naturelles nous serions très mal en point(beaucoup plus incapables que nos ancêtres d’il y a 20 000 ans) Déjà une fraction significative d’entre nous sont myopes et seraient bien incapables de se débrouiller, mille autres petites infirmités qui sont tolérées grâce à la médecine, ne seraient pas viables dans un monde sauvage, or nombre d’entre elles se transmettent génétiquement, elles posent donc un vrai problème pour l’avenir
Je ne veux pas choquer et que l’on me pardonne si certains le sont, Je n’appelle pas à la fin de la médecine, encore une fois j’en profite comme chacun mais je trouve normal d’aborder cette question.
Je ne me place pas ici sur le plan moral dont je comprends bien qu’il disqualifie ces propos, je me place juste sur le plan biologique. Je crois qu’à cause de la médecine, nous sommes une espèce fragile.
C’est un cas intellectuellement intéressant où une somme d’actions positives conduit à un résultat sans doute globalement négatif. Les lois mathématiques de l’addition ne s’appliquent pas toujours aux choses des sociétés.
Là aussi nous retrouvons la distinction entre l’individuel et le collectif mais aussi celle entre le court et le long terme. A court terme la médecine est une bénédiction, à long terme….
Pointez la médecine comme catastrophe pour notre espèce est hasardeux. La médecine est absolument nécessaire.
Pour concilier lutte contre l’explosion démographique et réduction de la mortalité, il faut éradiquer la natalité forcé. Il faut mettre fin à la situation dans laquelle la plupart des gens voulant ne plus procréer procréent quand même à cause de inaccessibilité de la contraception et des pressions obscurantistes.
Si on retarde considérablement la mortalité, mais qu’en contrepartie on cesse de mettre à la réduction de la natalité de quelconques bâtons dans les roues, les réductions d’effectifs l’emporteront sur les hausses.
Donc en fait, cette contradiction n’en est pas une. Du moins, elle n’est contradiction qu’à partir du moment où on s’obstine à considérer comme péché mortel le respect du droit à disposer de sont propre corps à soi.
C’est toujours un plaisir de voir que certains avaient compris si tôt. Des décennies plus tard, alors que tout est allé dans le sens ici prédit, il n’y a rien à retirer.
Seul petit désaccord avec le texte, je ne crois pas qu’il y ait de finalité au progrès d’une part bien sûr, il n’est pas une conscience et n’a aucune « volonté », d’autre part même si beaucoup le soutiennent de façon un peu naïve, il devient un flot qui nous échappe largement, il a sa propre dynamique qui s’auto entretient.
Rappelons-nous le livre « Ravage », à la fin la reconstruction de la société s’établit sur une quasi interdiction du progrès, il aura fallu pour cela une catastrophe (matérialisée dans cette fiction par la fin de l’électricité). C’est un peu comme la médecine, sur chaque petit point cela nous rend des services et cela nous attache fortement et globalement c’est sans doute une catastrophe pour notre espèce. Il est difficile de sortir de cette contradiction.
C’est toujours un plaisir de voir que certains avaient compris si tôt. Des décennies plus tard, alors que tout est allé dans le sens ici prédit, il n’y a rien à retirer.
Seul petit désaccord avec le texte, je ne crois pas qu’il y ait de finalité au progrès d’une part bien sûr, il n’est pas une conscience et n’a aucune « volonté », d’autre part même si beaucoup le soutiennent de façon un peu naïve, il devient un flot qui nous échappe largement, il a sa propre dynamique qui s’auto entretient.
Rappelons-nous le livre « Ravage », à la fin la reconstruction de la société s’établit sur une quasi interdiction du progrès, il aura fallu pour cela une catastrophe (matérialisée dans cette fiction par la fin de l’électricité). C’est un peu comme la médecine, sur chaque petit point cela nous rend des services et cela nous attache fortement et globalement c’est sans doute une catastrophe pour notre espèce. Il est difficile de sortir de cette contradiction.