Les promesses du numérique prolifèrent dans tous les domaines, l’éducation ne faisant pas exception. Lancé en mai 2015 par le Président de la République de l’époque, le « Plan numérique pour l’éducation » se déploie à marche forcée. Dans la foulée, le gouvernement d’Edouard Philippe annonce ainsi que des milliers d’écoles et des centaines de milliers de collégiens vont être dotés de tablettes numériques, cofinancées par l’État et les collectivités territoriales. Des structures, des outils, des langages nouveaux s’inventent pour intégrer les impératifs numériques dans le système éducatif – formidable terrain d’expérimentation de la numérisation du monde. Nos dirigeants économiques, intellectuels et politiques ne cessent d’appeler leurs contemporains à céder devant l’impératif du progrès technique, s’en remettant les yeux fermés aux hiérarques des multinationales du numérique (les fameux “GAFSA”) et aux futurologues de la Silicon Valley… sans s’interroger sur le fait qu’ils envoient leurs propres enfants dans des écoles « sans écrans ». La pédagogie dite numérique est convoquée pour, selon ses promoteurs, guérir les maux de l’école et faire entrer les élèves dans une certaine configuration du monde du XXIe siècle, admise comme inéluctable. Plus l’école et l’éducation sont presentées comme en crise, plus l’utopie numérique y multiplie les promesses. Affichant l’individualisation des apprentissages là où se déploie une massification dépersonnalisée, relayant une injonction permanente à innover, à être optimistes, à viser l’excellence, à s’inventer comme entrepreneur …de soi-même, le numérique tend à s’imposer comme LA panacée pédagogique.
Dans la réalité, c’est la maîtrise insuffisante des savoir-faire fondamentaux qui apparaît comme cause principale de l’échec scolaire et de la dégradation de l’insertion professionnelle des jeunes. Ce “bluff technologique” (Ellul) fait peu de cas des connaissances acquises en sciences cognitives sur les effets néfastes des écrans dans l’apprentissage et la mémorisation, l’épuisement des psychismes sous l’effet de l’accélération généralisée, l’appauvrissement des savoir-faire, l’affaissement de la relation pédagogique, l’infantilisation généralisée des des élèves comme des enseignants, frappés par ailleurs par une réduction mécanique de leurs effectifs. Sans parler de l’entrée en force dans l’enseignement public de firmes privées (tel Microsoft) alléchées par d’importants contrats. L’emballement de nos dirigeants pour le numérique passe sous silence l’obsolescence rapide des appareils numériques, alors que le monde souffre de surconsommation et de pollution généralisée, notamment par les déchets électroniques. Ce processus, dont l’école numérisée est emblématique puisqu’elle formate les générations futures, contribue à la surconsommation de ressources et d’énergie. En France, 130 data centers, principalement situés en région parisienne, absorberaient aujourd’hui 9% de l’électricité du pays. (d’après Engie).
Dans ce contexte, l’association Technologos a consacré ses 5ème Assises nationales à la Numérisation de l’éducation. En croisant le regard d’experts et de praticiens, d’observateurs du numérique et d’enseignants, ces rencontres seront l’occasion de débattre des enjeux du numérique à l’école et dans l’éducation non-scolaire – de ses promesses et de ses réalisations, mais aussi de ses dégâts et des moyens d’y résister. Voici quelques exemples des communications attendues : “La colonisation numérique du monde et de l’école (C. Biaggi) ; “Les promesses non-tenues d’une utopie déjà ancienne”(K. Mauvilly) ; “Place des écrans dans le développement de l’enfant” (Table ronde avec une médecin de PMI, une psychologue thérapeut familiale, une orthophoniste) ; projection du film “Ecran global” d’A-S Lévy Chambon ; “Le numérique et la transformation du travail enseignant” (A. Hart & A. Cardoso, enseignantes, SNES) ; “La décivilisation numérique” (O. Rey).
Jean-François HEROUARD, ancien élève de Jacques Ellul, co-fondateur de Technologos.
NB : Technologos est une Association (Loi 1905) d’hommes et de femmes d’origines sociales et d’âges différents ayant, en septembre 2012, adhéré à un manifeste consultable sur http://technologos.fr/. Elle se donne comme raison d’être d’interroger et de mettre en débat les choix techniques de nos sociétés, en prolongeant la ligne des travaux de J. Ellul, B. Charbonneau, G. Anders, I. Illitch, H. Harendt et bien d’autres. Ses précédentes assises ont porté sur “La question de l’autonomie de la Technique”, “La croissance économique, autopsie d’un mythe”, “Technique, guerre et volonté de puissance”, “Technique, médecine et santé”
GAFSA ??
GAFAM = google/Apple/Facebook/Amazon/Microsoft
Ma soeur (même pas de portable) m’avait offert des éditions originales de Voltaire trouvées à l’abandon dans un grenier. 260 ans et ce sont mes livres les plus précieux. Que vaut une tablette au bout de 3 ans?
Certes, si on décidait de » brûler tous les livres tous les 3 ans, la fortune des éditeurs serait tout autant assurée que celle de nos dealers numériques.
À l’opposé de cette soeur, l’autre se fait des piquouzes de romans niais sur kindle. Devinez laquelle exerce une profession dite intellectuelle?
Bien d’accord avec vous Didier Barthès !
D’autant plus que quand il n’y aura plus de jus pour alimenter toutes leurs machines et s leurs machins… ils auront l’air malin tous ces cerveaux augmentés, tous ces hyper-connectés, tous ces déformés par l’ère numérique. La plupart ne seront même plus fichus de faire une simple opération.
Bien d’accord avec vous Didier Barthès !
D’autant plus que quand il n’y aura plus de jus pour alimenter toutes leurs machines et s leurs machins… ils auront l’air malin tous ces cerveaux augmentés, tous ces hyper-connectés, tous ces déformés par l’ère numérique. La plupart ne seront même plus fichus de faire une simple opération.
Au lieu de faire de l’école quelque chose qui développe l’intelligence nous allons faire de l’école quelque choses qui développe le sens de se reposer sur la technologie.
Finalement l’article récent sur le GPS constituait une déclinaison tout à fait remarquable de ce problème plus général.
Les enfants de l’école d’aujourd’hui risquent de bien savoir utiliser un GPS sans rien savoir de la géographie (et sans rien en ressentir non plus), tout cela est une mauvaise pente.
Laissons le GPS guider les avions parce qu’il est très sûr (ou les missiles si l’on tient à faire la guerre, parce que sa précision est irremplaçable) mais ne le laissons pas, et ne laissons aucune machine, « pseudo-réfléchir » à notre place. Ce serait la trahison de toute mission éducative.
Ajoutons que les tablettes coûtent beaucoup plus cher que les cahiers, sont moins écolos et nous pourrons peut-être rallier les financiers et les écologistes à notre cause avant d’être remplacés par des robots.
Au lieu de faire de l’école quelque chose qui développe l’intelligence nous allons faire de l’école quelque choses qui développe le sens de se reposer sur la technologie.
Finalement l’article récent sur le GPS constituait une déclinaison tout à fait remarquable de ce problème plus général.
Les enfants de l’école d’aujourd’hui risquent de bien savoir utiliser un GPS sans rien savoir de la géographie (et sans rien en ressentir non plus), tout cela est une mauvaise pente.
Laissons le GPS guider les avions parce qu’il est très sûr (ou les missiles si l’on tient à faire la guerre, parce que sa précision est irremplaçable) mais ne le laissons pas, et ne laissons aucune machine, « pseudo-réfléchir » à notre place. Ce serait la trahison de toute mission éducative.
Ajoutons que les tablettes coûtent beaucoup plus cher que les cahiers, sont moins écolos et nous pourrons peut-être rallier les financiers et les écologistes à notre cause avant d’être remplacés par des robots.