Der Spiegel : Professeur Jonas, vous avez publié en 1979 Le principe responsabilité, dans lequel vous appelez l’humanité à prendre conscience de sa responsabilité à l’égard de la nature, sur laquelle pèse la menace de la technique et de l’industrie. Treize ans plus tard*, le commerce de l’homme avec la nature s’est-il un tant soit peu amélioré ?
Hans Jonas : La conscience de l’homme a évolué, mais la situation effective s’est aggravée. Jusqu’à présent, rien n’est intervenu pour modifier le cours des choses et, étant donné que cette situation est porteuse d’une accumulation de catastrophes, nous sommes aujourd’hui encore plus près de l’issue fatale que nous ne l’étions il y a 13 ans. La faculté d’agir a décliné. Les hommes ne parviennent pas à se libérer des contraintes réelles auxquelles ils se sont exposés, compte tenu de l’attentat technologique qu’ils ont perpétré contre la nature. L’exploitation abusive de la nature a dégénéré en habitudes de vie. Qui n’est pas directement menacé ne se décide pas à réformer radicalement son mode de vie. Les perspectives lointaines, notamment lorsque ce sont au premier chef les générations à venir qui sont concernées, n’incitent manifestement pas les homme à modifier leur comportement. Et il se pourrait bien que les choses empirent, l’homme est grisé par des besoins sans cesse croissants et par la possibilité illimitée de les satisfaire.
En revanche, dès lors que la menace se fait pressante, il en va autrement, sur le plan tant individuel que collectif. On ne prend la fuite que lorsque l’éruption volcanique s’est déclenchée. Paradoxalement, l’espoir réside à mes yeux dans l’éducation par l’intermédiaire des catastrophes. Mais peut-être est-il trop tard pour parvenir à un équilibre stable, compte tenu du nombre sans cesse croissant des êtres humains, auquel cas, l’accroissement de la population devra s’inverser au profit d’une diminution de la population mondiale. La planète est surpeuplée, nous nous sommes trop étendus, nous avons pénétré trop profondément l’ordre des choses. Du point de vue de l’histoire de la terre, qui se compte en millions d’années, cela peut signifier le naufrage tragique de la plus haute culture, sa chute dans un nouveau primitivisme dont la responsabilité nous incomberait. J’entends par là la misère, la mort et le meurtre des masses, la perte qui s’ensuit de tous les trésors de l’humanité auxquels l’esprit, indépendamment de l’exploitation de la nature, avait contribué.
Il se pourrait très bien qu’une nouvelle religion insensée se propage. L’idée que de nouvelles doctrines de salut, susceptibles d’entraîner les hommes dans leur sillage et à l’aide desquelles tout ce qui est humainement possible, non seulement l’ascétisme, mais également le plus effroyable – puissent surgir fait frémir. Il s’agit en définitive d’une question de rapport de force. Si les ressources de la terre – l’eau, les matières premières, l’air – s’épuisent, les individus les plus forts pourraient obtenir par la violence la réduction des besoins humains et du nombre d’êtres humains. Cette loi fondamentale et cruelle de l’évolution en fonction de laquelle ce sont les plus forts qui survivent ne doit pas devenir la loi de survie de l’humanité, sinon l’humanisme irait effectivement au diable.
* Hans Jonas (Der Spiegel, 11 mai 1992) repris par « Une éthique pour la Nature » (Arthaud poche 2017)
@ Didier Barthès
L’homme, un mot imprécis ? Oui bien sûr, comme tant d’autres mots.
C’est pour ça que lorsque je l’écris avec une majuscule, je pense déjà à l’espèce Homo sapiens, à tous ces hommes (et femmes) qui nous ressemblent et qui ont constitué l’humanité depuis disons 200 000 ans.
Ce que nous savons de cet homme-là reste assez limité, les traces écrites relativement récentes. L’homme tel que nous avons tendance à le penser, est avant tout cet homme qu’on nous raconte tous les jours. En effet pas très brillant ! pas très « savant » !
Quant aux intelligences qui ont du mal à s’additionner, à s’agréger… en effet. Deux Lévi-Strauss, cinquante clones, qui discutent et qui décident ce qu’il convient de faire… en effet ça risque de ne pas trop le faire. Il suffit déjà d’observer le comportement de tel homme lorsqu’il est seul, et son comportement lorsqu’il se retrouve au sein dans un grand groupe, la foule. Autant Platon croyait en cet art de faire accoucher les esprits, autant il n’accordait aucune confiance au « gros animal ».
Autant je pense que les sciences dites dures peuvent compléter la psychologie, autant je ne pense pas qu’elles puissent grandement aider en psychologie sociale.
En attendant je reste convaincu que le « Connais-toi toi-même » socratique, est la première des solutions.
Pour moi une des réponses possibles se trouve dans la difficulté de l’agrégation des intelligences et des volontés.
Les réflexions brillantes de Claude Lévi-Strauss et de beaucoup d’autres relevaient de démarches individuelles, elles n’avaient pas à supporter la nécessité du compromis et de l’accord avec les autres. L’intelligence de ces deux personnes pouvait librement s’exercer.
Mais l’intelligence ne s’agrège pas, et deux Lévi-Strauss ne font guère mieux qu’un seul, peut-être même moins bien.
Quand à l’action c’est plus compliqué, certes la collaboration donne incontestablement des résultats, mais là on se heurte aux intérêts contraires, à la pression du court terme à la nécessité de convaincre. et ces contraintes bloquent tout.
L’homme est un mot imprécis qui désigne tantôt l’individu, ses capacités et ses aspirations et parfois l’humanité dans son ensemble ce sont deux concepts bien différentes, l’addition ne se contente pas d’ajouter, elle modifie la nature des choses.
Je crois qu’un homme seul pourrait prendre les bonnes décisions, je crois que l’humanité dans son ensemble ne peut faire preuve ni d’intelligence ni de volonté commune. Elle ne l’a d’ailleurs jamais fait sauf localement pour une petite partie d’entre contre l’autre d’ailleurs et sous la contrainte de l’immédiat. Bref les combats qui ont été menés l’ont été dans des conditions très différentes que ce qui se présente aujourd’hui.
Là nous n’avons pas d’ennemis précis autres que nous-mêmes et c’est beaucoup plus difficile. Le coût à court terme du sauvetage nous apparait aussi vaste que son bénéfice à long terme, Sauver la Terre (la biosphère s’entend), c’est renoncer à tout ce que nous avons construit depuis si longtemps, nos économies, nos richesse, plus généralement notre prééminence, c’est à dire principalement ce qui fait nos valeurs. Nous n’avons pas la force de mettre cela à bas. Nous voyons trop bien ce que dans le court terme cela nous coûterait.
Nous ne le ferons donc pas et selon mon expression préférée, la question se résoudra douloureusement par la confrontation perdue de l’humanité contre les limites physiques du monde avec qui on ne négocie pas.
Bonjour Didier Barthès.
Vous posez-là de grandes questions , je dirais même des questions primordiales… Au stade où nous en sommes, chercher à savoir QUAND nous aurions commis une erreur, pris le mauvais chemin, pas fait ce qu’il aurait fallu faire … ne sert à rien. Maintenant c’est fait. Chercher à savoir QUAND l’Homme trouvera la sagesse, enfin … est une réflexion philosophique. Force est de constater que la philosophie (amour de la sagesse) n’est pas dans l’air du temps.
Quant à savoir POURQUOI ? Pourquoi un tel manque de lucidité ? Pourquoi les lumières de certains ne nous ont-elles pas permis d’éviter la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui ?
Là je pense que pour pouvoir répondre, il faudrait déjà savoir ce qu’est l’Homme, bien comprendre la façon dont il pense, comprendre quels sont ses besoins, ce qu’il a envie ou besoin de croire, etc.Et là justement, je crois… que la science peut nous aider à répondre. Les sciences humaines, mais aussi des sciences dites dures, la biologie, et les neuro-sciences.
Bon nombre de nos raisonnements et théories reposent sur des postulats. J’entends souvent parler de « nature humaine » … et je ne sais toujours pas de quoi il s’agit.Affirmer que l’Homme est par nature… poussé à en vouloir toujours plus, est un de ces postulats que je n’accepte pas. Si telle était la Réalité, POURQUOI à ce moment-là certains sont capables de se contenter de peu ? Pourquoi savent-ils dire ASSEZ ? POURQUOI certains cons-ommateurs ont-ils été capables de trouver le bonheur en faisant un virage à 180 degrés ?
Et je n’ai toujours pas de réponses à tous ces POURQUOI.
Pourquoi la lucidité semble t-elle avoir perdu le combat en matière d’écologie ?
Pourquoi y a t-il eu Claude Lévi-Strauss ou Hans Jonas pour penser et ensuite des mouvements aussi décalés et ne tenant aucun compte de leurs réflexions pour représenter politiquement l’écologie ?
Où donc avons-nous mal transmis le témoin, pris le mauvais embranchement ?
Quand l’idée de partage de la Terre avec le reste du vivant s’imposera t-elle enfin comme base de l’écologie ?