Didier Barthès : Imaginons que, par magie, nous inventions une batterie capable de faire rouler une voiture un million de km (ou voler un avion un million d’heures, ou chauffer une maison un million d’années …) Imaginons que cette batterie soit de la taille d’un dés à coudre, qu’elle ne coûte rien à être chargée ni rechargée, qu’elle soit 100 % recyclable et que sa fabrication ne coûte ni ne pollue rien. Nous croirions avoir tout gagné, résolu tous les problèmes… Au contraire ! Ce fabuleux pouvoir de l’énergie sans contrainte serait celui qui nous conduirait à détruire la Terre, car il n’y aurait plus alors de limites à notre emprise sur la planète, nous nous installerions partout et artificialiserions l’ensemble du monde.
Curieusement, ce sont peut-être les défauts des énergies actuelles, coûts, difficultés d’accès, raréfaction et même pollutions engendrées qui protègent la Terre en fixant une limite à notre pouvoir.
Le vrai problème n’est pas de trouver une source d’énergie qui serait sans inconvénients, il est d’accepter que nous limitions notre emprise, c’est la seule façon de protéger la biosphère. C’est là l’un des volets les plus profond selon moi de la réfutation de toute solution par une fuite en avant technologique. Ce ne sont pas les défauts de la technologie qui la condamnent, ce serait au contraire ses potentialités.
Le pape François : On a tendance à croire que tout accroissement de puissance est en soi « progrès », comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique. L’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience.
Nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, nous donnent un terrible pouvoir. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir et rien ne garantit qu’elle servira toujours bien, surtout si on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser. Il suffit de se souvenir des bombes nucléaires lancées en plein XXe siècle, comme du grand déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par d’autres régimes totalitaires. La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre.
Bonjour Didier,
Merci pour votre message d’hier : un beau cadeau pour mes 60 ans !
Une question encore que je me pose : pourquoi Robert Hainard est-il si peu connu, mis à part les amateurs de ses gravures ?
Sa philosophie est a mon humble avis extrêmement pertinente et digne des précurseurs de l’écologie et de ses problèmes fondamentaux.
Son approche d’artiste y est-elle pour quelque-chose ? Faut-il être naturaliste passionné pour ressentir pleinement ce qu’il veut dire ?
Voici 3 extraits de livres de Robert Hainard sur la démographie que vous pouvez télécharger directement si vous le voulez :
Et la nature ? Robert Hainard, 1943
https://photos.app.goo.gl/QJs0iSEuNct0KDf53
Expansion et nature. Robert Hainard, 1972 https://photos.app.goo.gl/4oOEfWKcp8GE3xmA3
Le monde plein. Robert Hainard, 1991
https://photos.app.goo.gl/5Qs2luUHyRRCnC6u2
Voir aussi le site de la fondation Hainard http://www.hainard.ch/ et le site internet du groupe Le monde plein http://www.lemondeplein.ch/le-monde-plein/
J’en profite pour vous encourager dans votre travail que je suis depuis pas mal de temps et qui est remarquable : MERCI !
PS J’ai été étudiant de J.Neirynck à l’EPFL et j’ai enseigné la physique (y compris l’astronomie) au secondaire supérieur à Lausanne…
Bonjour Philippe Delacrétaz,
Heureux de lire quelqu’un qui connait Jacques Neyrinck dont les réflexions sur l’entropie sont tout à fait intéressantes. Quant à la citation de Lord Acton sur le pouvoir qui corrompt (citée par James Lovelock), j’avoue qu’elle m’est aussi venue à l’esprit quand j’ai laissé ce commentaire sur le site de Biosphère, en effet, il s’agit bien de cela.
L’histoire de l’humanité est une belle et très triste histoire en ce sens qu’elle nous cueille au sortir d’un doux cocon l’utérus de la mère pour nous jeter dans le monde fait de cruauté de barbarie sans aucun moyen pour nous en protéger ni de nous défendre. L’enfant a peu de moyen de se protéger s’il n’a pas le soutien de ceux qu’ils l’ont engendré, ses parents dans une relation souvent si aléatoire qu’ils en conçu un petit fœtus qui n’avait pas demandé à naître un fœtus dont la valeur est déjà mise en question et quand il émerge à la vie il est déjà rejeté ou accueilli selon son sexe…..une fille est souvent moins bien accueillie dans une société machiste qu’un petit mâle dont la vie sera fêtée et investie d’un espoir sans équivalent. Et chaque génération reproduira à l’infini les mêmes dérives les mêmes erreurs…jusqu’à la fin de notre séjour sur cette terre. C’est là que ce matin je voulais déposer .
Robert Hainard, artiste graveur et sculpteur, mais aussi naturaliste et philosophe, écrivait en 1943 son premier livre » Et la nature ? « . En 1972, c’était » Expansion et nature « . Et en 1991, « Le monde plein » !
Depuis trois quarts de siècles il a vu venir le problème majeur de notre société soit une destruction de la nature a un rythme de plus en plus rapide, au fur et à mesure que la démographie devenait galopante et que l’homme disposait de plus en plus d’énergie.
Comme Hainard (1903-1999), qui a été un des meilleurs connaisseurs de la faune européenne de son temps, je suis passionné par les oiseaux, les animaux et toute la richesse et la diversité de la nature qui nous entoure, « qui n’a pas été faite par nous » disait Robert Hainard, et comme lui, j’éprouve le besoin de côtoyer et de me confronter à cette nature le plus souvent possible.
Quand bien même je vois le nombre de naturalistes amateurs augmenter rapidement depuis 20-30 ans, le fossé se creuse avec la grande majorité des hommes pour qui la nature n’est au mieux qu’une entité monnayable.
La question que je me pose est : peut-on vouloir véritablement un rationnement de l’énergie consommée, donc une diminution de notre liberté, si on n’est pas profondément épris de notre planète « sauvage » et en même temps convaincus qu’elle n’est pas capable de « survivre » sans cette décroissance de nos consommations ?
Et cette seconde question qui en découle : pourra-t-on, par l’éducation et l’information, amener une majorité de la population à aimer notre planète pour son côté radicalement « autre », plutôt que de rechercher une société correspondant aux scénarios de science-fiction où l’homme a accès à une énergie sans limites, où il ne vit que dans un monde construit par lui (qui le rassure vraisemblablement) et où tout semble permis ?!
D’ailleurs, cette société futuriste est-elle vraiment possible :
– James Lovelock dans « Les âges de Gaïa » faisait aussi ce cauchemar, comme il l’appelait, d’une source d’énergie quasi infinie, portable et propre, et qui pourrait changer la vie des hommes et changer la planète ! On pourrait n’y voir que des bienfaits, mais il concluait par le célèbre dicton prophétique de Lord Acton : » Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument » !
– et Jacques Neirynck, ancien professeur à l’EPFL, dans « Le 8e jour de la création, initiation à l’entropologie » nous rappelle que la consommation /dégradation de l’énergie ne se fait pas sans son corollaire, l’augmentation de l’entropie, soit du « désordre » en proportion… et ce n’est pas une assertion quelconque mais une loi physique !
Ce soir de fête à l’américaine (Halloween), je suis plutôt pessimiste, mais demain, jour de mes 60 ans, qui sait ?!
« Curieusement, ce sont peut-être les défauts des énergies actuelles, coûts, difficultés d’accès, raréfaction et même pollutions engendrées qui protègent la Terre en fixant une limite à notre pouvoir. »
J’ ajouterais à la liste de D. Barthes , les limites de l’ intelligence humaine qui , dès à présent butte sur des difficultés technologiques probablement insurmontables (fusion nucléaire , stockage de l’ énergie, voyage spatial…) tant leur complexité est grande !
« Le vrai problème n’est pas de trouver une source d’énergie qui serait sans inconvénients, il est d’accepter que nous limitions notre emprise, c’est la seule façon de protéger la biosphère. » Voilà un excellent résumé du changement d’état d’esprit que nous devons accomplir. Accepter de nous limiter en considérant les limites de notre planète. Et cela vaut aussi pour le capitalisme, Aliocha .C’est cependant une révolution que les humains ne sont pas près d’envisager tant ils sont encore aveuglés par leur foi dans la démesure.
Je suis content de voir que Biosphère a réussi à réconcilier Didier Barthès avec l’Église. Du moins avec le pape François … et c’est déjà ça ! Blague à part , Aliocha nous parle des valeurs. Elle reproche à Didier Barthès de déplorer « la perte… des valeurs ». Et elle pourrait me reprocher la même chose à moi-aussi .
Quand nous déplorons qu’il n’y a plus de valeurs, nous oublions peut-être de préciser qu’il y en a d’autres. En effet les vieilles valeurs ont été remplacées par d’autres. La question est donc de savoir si ces nouvelles valeurs VALENT mieux (ou pas) que les anciennes.
La filouterie vaut-elle mieux que l’honnêteté ? La compétition vaut-elle mieux que la solidarité ? La vulgarité vaut-elle mieux que la noblesse ? La démesure vaut-elle mieux que la tempérance ? Le Scientisme vaut-il mieux que le Christianisme ? etc. etc. etc.
Ce sont là des raisonnements complètement antagoniques avec l’histoire de l’humanité. A vous suivre on regretterait même l’invention de la roue, du fer forgé, du lave linge, du langage et des mathématiques.
Robinson tout seul sur son île – avant même qu’il rencontre Vendredi – voilà sans doute selon vous la quintessence du bonheur et de l’harmonie avec la nature.
Vous déplorez « la perte… des valeurs » or nous n’avons jamais vu dans l’histoire un monde dominé à ce point là par la ‘valeur’ justement. Mais comme vous vous refusez radicalement de mettre en cause le système actuel de production de valeur vous tombez dans l’impasse d’un scepticisme historique théorisé (un tant soit peu). Vous ne pouvez que renvoyer aux masses humaines qu’elles sont de trop sur cette planète, or c’est précisément ce que nous dit aussi le capitalisme : « Allez une bonne guerre et tout ces problèmes disparaitront! » On connaît merci, on a déjà donné.
@ Aliocha
L’histoire de l’humanité est faite sur 200 000 ans d’une progression extrêmement lente de notre pouvoir de modifier notre environnement terrestre. Depuis un siècle nous détériorons gravement le substrat qui nous permet de vivre, tout s’accélère. Cela demande donc réflexion et nouvelles valeurs. Même le pape François en est conscient. Nous sommes tous responsables, et le problème résulte entre autres tant du nombre d’automobiles que du nombre d’automobilistes. Ne pas réfléchir à ces données concrètes, c’est vouloir inconsciemment créer le conflit et la guerre. C’est là aussi un aspect du contexte historique actuel…