Dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est indiqué dans l’article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. » C’est une approche complémentaire de la règle d’or, « traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». Elle est présente dans de nombreux systèmes de pensée comme le bouddhisme (Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante) ou le christianisme ( Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi, de même). C’est ce qu’on appelle aussi une éthique de la réciprocité. La plupart du temps, on pratique la réciprocité directe, je te redonne l’équivalent de ce que tu m’as donné. C’est typique de l’échange marchand, j’ai obtenu l’objet ou le service, je paye directement en monnaie. C’est là une conception étriquée de l’altruisme.
Il existe aussi une réciprocité indirecte, aider n’importe qui tant qu’on est aidé en retour par n’importe qui d’autre au sein de son groupe. Satish Kumar* s’exprime ainsi : « Pour voyager, nous logions dans des pensions fonctionnant sur le principe de l’hospitalité réciproque : nous n’avions rien à payer pour notre séjour, mais nous étions tenu d’offrir la même hospitalité aux Jaïns de passage dans notre ville. Le mutualisme définissait toutes nos relations. Le mutualisme et la réciprocité sont les principes de base de l’existence. Or qui dit réciprocité dit relation. Nul n’est une île. Les îles ne le sont qu’en relation à l’eau qui les entoure. Dans une société fondée sur un modèle relationnel, l’individu reçoit autant qu’il donne à l’univers tout entier. Quelles soient humaines ou non, les créatures terrestres souhaitent toutes vivre, s’épanouir et prospérer. Toutes les espèces terrestres sont membres de la même communauté. Les hindous ont forgé l’expression « So Hum » – Tu es, donc je suis. Je me nourris des fruits de la terre, le soleil m’offre sa chaleur, l’eau me désaltère, l’air emplit mes poupons. Ces éléments sont, donc je suis. Notre individualité dépend de ce qui nous entoure. Elle est indissociable de notre environnement. Adeptes du jaïnisme, nous ne nous comportions pas comme des individus isolés. » Je me retrouve dans cette conception de la réciprocité généralisée.
Finalement j’en arrive à cette conception de l’action, toujours faire en sorte d’agir de telle manière que si autrui faisait de même, le bien commun en serait amplifié. Par exemple, si tout le monde était objecteur de conscience, rejetant l’usage collectif des armes, il n’y aurait plus de guerres. Le seul problème réside dans le « si ». Les objecteurs en France ont été très peu nombreux malgré le fait qu’ils aient obtenu officiellement un statut, et plus personne n’en parle aujourd’hui avec la suspension du service militaire. N’empêche que j’ai été objecteur de conscience au début des années 1970 et que si tout le monde avait fait comme moi, il n’y aurait plus de guerres. On ne peut attendre des autres qu’ils pratiquent la réciprocité généralisée dans une société qui cultive la compétition, la violence et le mépris d’autrui. Mais si tu ne commences pas à agir pour le bien commun, qui le fera ?
* Tu es donc je suis (une déclaration de dépendance) de Satish Kumar (2002, parution française en 2010)
En effet, le seul problème réside dans le « si » !
Déjà, si… nous arrivions à voir clairement la bonne direction.
Autrement dit, si … nous n’avions pas perdu le Nord.
Et si … nous savions comment nous fonctionnons, et après quoi nous courrons.
Si… nous avions compris que l’altruisme n’est qu’une forme d’égoïsme.
Une forme bien plus noble certes, que le vulgaire chacun pour soi.