(texte de 1820) Dans notre agriculture, si les chevaux, qui par la quantité de produits qu’ils consomment, sont l’espèce de capital fixe la plus désavantageuse, étaient abandonnés, il est probable qu’une partie des terres qui donnent aujourd’hui du blé resteraient sans culture. Les fonds de terre peu fertiles ne pourraient jamais rapporter assez pour payer le travail de la culture à la bêche, les frais nécessaires pour faire venir les engrais de loin à la brouette, et pour transporter les produits de la terre à des marchés éloignés avec cette même sorte de véhicule. Dans ce cas, il y aurait une grande diminution dans la quantité de blé produite, et par conséquent une grande diminution dans la valeur du produit ; de sorte que la valeur des fonds destinés à entretenir le travail venant à baisser, la demande de travail baisserait dans la même proportion.
On a prétendu dernièrement que la culture à la bêche rapporte à la fois un plus grand produit brut et un plus grand produit net. Je me sens très disposé à me soumettre à l’expérience bien constatée , mais si l’expérience est favorable à cette option, rien ne doit être plus étonnant que de voir encore employer des charrues et des chevaux dans l’agriculture. Et en supposant même que l’usage de la bêche puisse, dans quelques terrains, améliorer la terre au point de payer les frais additionnels du travail, cependant, comme il faut avoir des chevaux pour porter des engrais à des distances considérables, et pour voiturer les produits du sol au marché, le cultivateur ne peut pas trouver son compte à employer des hommes à bêcher la terre, tandis que ses chevaux resteraient oisifs dans l’écurie. D’après ce que l’expérience nous a appris jusqu’à présent, je dirais que c’est le commerce, le prix et l’intelligence, qui pourront rendre productifs les terrains des pays pauvres, et non la bêche. Et d’ailleurs on ne saurait rien conclure de ce qui se passe sur quelques coins de terre rapprochés des terres et des habitation, relativement à la culture d’un grand pays.
D’un autre côté, si, par l’introduction d’une plus grande quantité de capital fixe, on pouvait cultiver la terre et en faire porter les produits au marché à bien moins de frais, on pourrait augmenter considérablement les produits par la culture et l’amélioration de tous nos terrains en friche ; et si l’emploi de ce capital fixe n’avait lieu que de la seule manière qui nous paraisse possible, c’est-à-dire graduellement, il n’y a pas de doute que la valeur des produits bruts du sol ne se maintienne à peu près à son ancien niveau. L’augmentation considérable de la quantité de ces produits, jointe au plus grand nombre de personnes qui pourraient être employées aux manufactures et au commerce, causerait inévitablement une très grande augmentation dans la valeur échangeable de la totalité des produits, accroîtrait les fonds consacrés à l’entretien du travail, et ajouterait ainsi à la demande des bras et à la population.
Malthus, Principes d’économie politique (Calmann-Levy 1969 p.189-190)
Malthus, bien avant les autres avait compris le mécanisme des engrenages infernaux, on le sait bien avec la démographie, mais on le voit ici aussi sur la question de la technologie en général. D’une certaine façon il annonçait Ivan Illich.
Malthus est probablement, et de loin, le meilleur économiste que nous ayons connu, car il intégrait l’économie dans l’ensemble de l’écologie planétaire, et il avait avant tant d’autres compris le sens du mot et la force de la notion de limite.
Malthus … « de loin, le meilleur économiste que nous ayons connu » ? Bof.
Admettez au moins, mon cher Didier Barthès, que ça se discute. Mais à ce moment là, comment situeriez-vous Nicholas Georgescu-Roegen ?
Malthus… « avait avant tant d’autres compris le sens du mot et la force de la notion de limite » ? Faudrait quand même pas oublier les Anciens, ceux qui parlaient si bien de l’hubris.
Comparaison intéressante. Sauf que les principes d’économie de Malthus ne valent pas plus cher que les fameuses « lois » économiques, que la plupart de nos économistes actuels persistent, hélas, à voir comme Vérité Absolue. Et hélas encore, nous savons bien que dans ce domaine, il n’y a pas de discussion possible. Amen.
Malthus part du principe que le blé pousse grâce aux chevaux. Ce qui n’est pas faux si on pense aux engrais, au crottin quoi. Second principe… c’est le blé qui fait pousser le blé. Ce qui à son époque est vrai. Et ceci depuis le Néolithique. Comme on sait, en 1820 (la Préhistoire) la Science ne savait pas encore, comme aujourd’hui, faire des miracles.
Seulement toute la « science » de Malthus repose sur le postulat que les chevaux se nourrissent de blé, comme d’ailleurs les pasteurs, les évêques, les fabricants et les pousseurs de brouettes, les bêcheurs, les pêcheurs etc. Bref que le blé est l’énergie qui fait avancer les bourrins, les brouettes etc. Et encore aujourd’hui, dans bon nombre de chaumières et de palaces, cette drôle d’idée perdure. On persiste à penser que c’est le blé qui fait avancer les bagnoles, fait voler le avions, fait avancer le Progrès, que le blé est la carotte qui fait avancer les bourrins (hi-han) etc.
Le blé … je parle de l’argent, du pognon, bien sûr.