A quoi sert donc l’humain, à rien, aucune utilité

L’humain sert dans un processus qui ne sert sans doute à rien ni à personne. Tout le bavardage humaniste contemporain sur le « propre de l’homme » découle d’une vision de l’homme comme un monument commémoratif à lui-même, en d’autres termes comme un sommet de l’art pompier.Aujourd’hui, il faut considérer l’humain comme une catastrophe écologique qui conduit à une mise à l’épreuve radicale du vivant par lui-même. L’humanisme est mortel parce qu’il développe des stratégies efficaces pour accroître la durée de vie des bipèdes et leur nombre. Les religion du Livre considèrent le nombre d’enfant comme ne valeur en soi. Dans ce contexte, l’humanisme fait exploser le vivant en voulant prendre soin de l’homme. Sa volonté de faire de l’homme la fin absolue en a fait le moyen le plus efficace pour détruire le monde. La révolution médicale du XXe siècle est sans doute la chose la plus traumatisante qui soit arrivée aux êtres vivants sur Terre depuis la météorite qui a causé la fin des dinosaures. Paul Shepard constatait que la multiplication de l’homme sur Terre exclut qu’il reste de la place pour les autres êtres vivants.

La réponse classique apportée à la question : « A quoi sert l’homme ? » à savoir : à rien, ou plus exactement, à rien d’autre qu’à lui-même est la réponse la plus destructrice qui soit pour lui-même et pour la planète. Là encore, une bonne volonté gluante conduit à une logique du pire. L’idéologie des Lumières était suicidaire. Chasser Dieu pour mettre l’homme à la place était un mauvais calcul. Kant, théoricien de la bourgeoisie montante, a conceptualisé l’inutilité sublime de l’homme qu’il érige de surcroît en impératif catégorique : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, soit dans ta personne, soit dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme une fin, et que tu ne t’en serves jamais simplement comme un moyen. » L’homme devient lui-même sa propre fin, l’homme se referme sur lui-même. L’homme n’est finalement qu’un animal comme les autres, à ceci près (qui n’est quand même pas rien) qu’au lieu de jouer le rôle qui lui est attribué au sein du processus évolutionnaire, il essaie de changer les règles pour ce qu’il croit être son profit ! Pour les transhumanistes, l’homme n’est qu’une transition et il faut le faire accéder à l’étape suivante. Mais cette fois mettre l’homme comme un fin en soi ne se situe plus dans l’espace de l’éthique comme l’avait fait Kant, mais dans celui de l’existence, ce qui devient du coup très dangereux puisque c’est l’harmonie du monde dans son ensemble qui est mis en danger. C’est-à-dire la circulation des matières et des énergies entre être vivants, au profit d’une catégorie particulière, les post-humains, qui veut accaparer toutes les ressources à son seul profit. L’animal est inexistant chez les théoriciens du post-humain parce que la machine est devenu le partenaire exclusif d’Homo sapiens. Il s’adapte très bien à la disparition des espèces puisqu’il préfère les animaux artificiels aux animaux naturels. Il n’y a pas de place pour le non-humain (animal, végétal) dans le projet humaniste, qui conforte son autisme par une technologie de substitution de plus en plus maternante. On habitue les enfants à des artefacts relationnels, dont les Tamagotchis ont été les précurseurs. Le biologiste René Dubos remarque que, « par un étrange paradoxe, l’homme est capable de s’adapter à presque tout, même à de circonstances qui détruiront inéluctablement les valeurs mêmes qui ont donné à l’humanité son caractère unique ». Le transhumanisme pousse finalement à son terme le projet humaniste dans ce qu’il a de plus contestable : instaurer l’homme comme le seul habitant d’un monde qui lui est entièrement soumis. Une sensibilité écologique réduite à zéro est nécessaire pour penser qu’un tel projet est viable.

A quoi sert l’homme aujourd’hui ? A rétablir une harmonie du monde, celle que l’humanisme a détruit en considérant l’humain comme une sublime inutilité, pour l’avoir élevé à une fin en soi en le plaçant au-dessus de tout. Comment permettre à l’homme de se rendre de nouveau hospitalier à cette Nature dont en fin de compte il n’est jamais sorti ? L’écologie doit assumer l’idée que l’homme et la nature sont, non pas seulement irrémédiablement liées, mais ontologiquement consubstantiels. Il s’agit moins de préserver la nature que de reprendre conscience de la texture qui lie l’homme au monde vivant dans lequel il est profondément immergé. Si l’homme ne sert vraiment à rien, il peut au moins servir à s’éliminer lui-même !

Dominique Lestel in « A quoi sert l’homme » aux éditions Fayard, 2015

4 réflexions sur “A quoi sert donc l’humain, à rien, aucune utilité”

  1. A quoi sert l’humain ? Question absurde, que seul l’homme est capable de se poser, juste pour dire s’il est c..
    Parce qu’ à ce moment là, à quoi sert une fleur, et une baleine ? Je doute qu’elles puissent nous le dire. Et mieux, à quoi sert notre planète, perdue dans l’immensité du cosmos ? Mis à part à faire tourner la lune, je ne vois pas.

  2. À quoi sert l’humain? Il n’est peut-être qu’un élément dans une démonstration par cet absurde qui interpellait tant Camus.

  3. L’humanisme en lui-même n’est pas mortel. L’humanisme est nécessaire à l’humain et n’est néfaste à aucun être vivant.

    En revanche, certaines choses qu’actuellement et depuis longtemps les humains font sont bel et bien mortel et néfaste. Il faut un humanisme qui ne défende ni le capitalisme ni le refus de l’écologisme ni le spécisme ni le productivisme ni le fait que soit crue la possibilité de la croissance économique infinie.

  4. Assez d’accord avec tout cela, même si je pense qu’en amont c’est le concept de servir qui est mal adapté.
    Dans la nature tout est équilibre, il n’y a pas une pièce (une espèce) qui serve à quelque chose, qui soit utile, si elle n’est pas là, une autre occupe la même niche écologique (et non la même « fonction »).
    Il n’y a que dans les constructions humaines que, comme il y a un but, il y a des pièces différentes avec des fonctions précises. Dans la nature, les « fonctions (si on veut vraiment les appeler ainsi ») sont le résultat d’un équilibre et non un préalable.
    C’est là une force extraordinaire, car ainsi, aucun élément n’est déterminant, en cas de problème (c’est à dire de changement) d’autres équilibres se mettent en place.
    C’est d’ailleurs ce qui va se passer (au détriment provisoire de la beauté du monde) quand nous aurons absolument tout mis par terre d’ici la fin du siècle au nom d’un humanisme qui, au lieu de bonté, s’est conçu comme une sublimation égocentrique de nous-mêmes et à cru faire du monde notre propriété, notre objet, notre serviteur. Funeste erreur morale et matérielle.

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