Il y a une définition judicieuse de la bioéconomie, une économie consciente des limites biophysiques. C’est en 2004 que le terme de bioéconomie se retrouve pour la première fois dans les colonnes du MONDE** : « Les principales avancées en conservation résultent de la reconnaissance des besoins spatiaux des espèces et des écosystèmes, qu’il s’agit à présent de concilier avec l’omniprésence de l’homme… En élargissant sa cible à l’ensemble de la biodiversité terrestre, l’écologie de la conservation entre dans l’ère de la bioéconomie. La réconciliation des habitats doit intégrer des variables écologiques, économiques et sociales. » On y retrouve les travaux de Rosenzweig (2003) : « Puisqu’il ne peut être question de demander aux humains de se sacrifier pour le bien être d’autres espèces, l’unique solution consiste à associer la biodiversité au développement économique et social des populations humaines… L’avenir des sociétés humaines est lié à celui des écosystèmes qu’elles exploitent, et donc de la diversité des espèces qui constituent ces écosystèmes… Le principe conducteur général est d’utiliser une approche bioéconomique pour exploiter les écosystèmes sans les dégrader. » En 2011, René Passet réutilise le terme de bioéconomie de la façon la mieux aboutie : « Il n’est désormais d’économie viable qu’une bio-économie au sens propre, c’est-à-dire une économie ouverte aux lois de la biosphère. Le paradigme qui s’impose aux sociétés n’est plus celui de la mécanique, mais celui de la biologie et des systèmes complexes régissant la survie évolutive de l’humanité et de la biosphère. Dire que l’humanité consomme plus d’une planète est une façon d’affirmer qu’elle a franchi les limites de la capacité de charge de la biosphère. Il s’agit d’un tournant décisif. L’économie se trouve confrontée à sa vraie nature d’activité transformatrice de ressources et d’énergies réelles ; elle ne saurait se reproduire elle-même dans le temps que dans la mesure où ses règles d’optimisation restent subordonnées au respect des fonctions assurant la reproduction à très long terme de la nature ; elle est amenée à se penser dans la reproduction du monde. » Dans un article antérieur de ce blog, nous n’hésitions pas à titrer : Bioéconomie, l’économie comme sous-partie de l’écologie.
Mais il y a aussi une définition officielle venant de l’OCDE, le club des pays riches : La bioéconomie est l’application des biotechnologies à la production primaire, à la santé et à l’industrie. Autrement dit l’usage des éléments du vivant (gènes, cellules…) à des fins de productivité économique. Dans ce sens, la bioéconomie trouve son origine dans la prise de conscience, au tournant des années 1970, du caractère limité des énergies fossiles. Perçus comme une ressource renouvelable, naturelle et non polluante, les organismes vivants incarnent l’espoir de poursuivre une croissance économique illimitée. On rêve de biocarburants et d’OGM miracles. Le corps humain et ses composants fait déjà l’objet d’un immense marché**. En d’autres termes, selon la perception de l’Institut français du pétrole-énergies nouvelles (Ifpen), ce néologisme désigne l’ensemble des techniques visant à valoriser la biomasse à une échelle industrielle. Il n’y a aucune préoccupation écologiste dans cette tentative d’asservir la nature (et les humains) à l’activité thermo-industrielle. Cette stratégie industrielle croissanciste et mortifère est à comparer au programme bio-économique minimal tel que définie en 1971 par Nicholas Georgescu-Roegen :
– interdire totalement non seulement la guerre elle-même, mais la production de toutes les armes de guerre.
– aider les nations sous-développées à parvenir à une existence digne d’être vécue
– diminuer progressivement la population humaine
– réglementer strictement tout gaspillage d’énergie
– vous guérir de votre soif morbide de gadgets extravagants.
– mépriser la mode qui vous incite à jeter ce qui peut encore servir
– rendre les marchandises durables, donc réparables
– ne plus se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore.
* LE MONDE du 10 avril 2004, Les réserves animales ne suffisent pas pour sauver les espèces
** LE MONDE Culture&Idées du 7 juin 2014, « la bioéconomie génère de nouvelles formes d’exploitation du corps »