Chronique de Stéphane Foucart* : « Les particules fines et les oxydes d’azote sont indistinctement produits par des riches et des pauvres et indistinctement respirés par des riches et des pauvres. A l’aune d’une vision strictement marxiste de la question environnementale, il est impossible d’expliquer cet état de fait paradoxal, cet étrange conflit dont nous sommes tous les protagonistes et les victimes potentielles, cette guerre bizarre de chacun contre tous, de tous contre chacun et de chacun contre soi-même. »
L’écologisme a cela de rassurant que nous sommes tous concernés par la pollution, la surpopulation, l’épuisement des ressources fossiles, les rendements décroissants dans l’agriculture, etc. Mais il est aussi vrai que les riches peuvent mieux se protéger de n’importe quel désagrément, il suffit d’y mettre le prix. L’écologisme s’accompagne donc nécessairement d’une limitation drastique des inégalités de revenus et d’une limitation des besoins humains. Sans pauvres ni riches, la société est plus encline au partage. Sans possibilité financière d’acheter une voiture individuelle, moins de pollutions aux particules fines. La lutte de classes a été une fausse démarche qui est passé à côté de l’essentiel. Fabrice Flipo** pose le doigt là où ça fait mal, en réalité le prolétariat a été aux côtés des capitalistes :
« Reconnaissons que les mouvements ouvriers, lorsqu’ils vont soutenir les projets qui présentent les meilleurs salaires ou défendre l’outil de production, se trouvent être les alliés objectifs des capitalistes, contre les écologistes. La résistance ouvrière force les capitalistes à développer la productivité sociale. La lutte entre le capital et le travail reste dans le capitalisme. La valeur travail que le mouvement ouvrier veut s’approprier est précisément ce dont il devrait au contraire se défaire. Le mouvement écologiste naît hors des usines. Il rencontre une difficulté dès lors qu’il s’agit de parler du « social ». C’est que celui-ci est largement fondé sur l’usage industriel de ressources minérales. Pour autant ce social n’est pas universalisable. L’empreinte écologique des 10 % des Canadiens les plus pauvres s’élève à trois fois ce qui serait soutenable à l’échelle mondiale. Le fonds de commerce le plus solide de l’écologisme réside d’une part dans la contestation des choix technologiques (nucléaire, OGM..) et d’autre part dans la soustraction de certaines zones à l’emprise de la valeur économique, qu’elle soit planifiée ou de marché. Du point de vue de l’écologie radicale, le développement de la modernité a été, dès le début, un péché contre l’ordre naturel du monde. Son issue catastrophique obligera l’humanité à sa nécessaire conversion. »
* LE MONDE du 30-31 mars 2014, Marx et la pollution
** Nature et politique, Contribution à une anthropologie de la modernité et de la globalisation (Fabrice Flipo)
(Editions Amsterdam, 442 pages, 21 euros)