Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Désacraliser l’humanité
En définitive, j’avais beaucoup réfléchi pour en arriver à ce résultat d’évidence : je ne suis rien, juste une infime partie de l’humanité qui s’est répandue dans le temps quelque peu et beaucoup trop dans l’espace terrestre, humanité elle-même infime fraction de la Biosphère, Biosphère à son tour infime élément de l’Univers. Je ne me considère plus au centre, le soleil ne tourne plus autour de la race humaine. Le soleil est d’abord là pour les plantes et pour les herbivores, pour les carnivores et tout le reste de la vie sur cette Terre. Les humains ne sont que des passagers parmi d’autres alors qu’ils se veulent les parasites ultimes qui prennent toute la place au détriment de la faune et de la flore. Il ne s’agit plus de déterminer une liste des espèces à protéger et des territoires à sanctuariser, il me parait au contraire essentiel de redonner à la planète tout entière la liberté de déterminer de façon la plus libre possible son propre équilibre dynamique. Réintroduire l’ours dans les Pyrénées n’est qu’invention humaine, lui laisser ainsi qu’à toutes les autres espèces son espace vital devient une nécessité morale.
Cela présuppose que le poids de l’humanité se fasse de plus en plus léger, ce qui remet en question l’évolution quantitative de la démographie humaine, et pose aussi un problème plus qualitatif, l’empreinte de l’activité humaine sur l’écologie de la planète. L’évolution démographique exponentielle de l’espèce homo sapiens est une terrible remise en question de la sélection naturelle, la généralisation de l’autoroute et du mode de vie qu’elle représente est une atteinte grave aussi bien à la diversité culturelle des sociétés humaines qu’à la diversité biologique. Il nous faut de la décroissance, décroissance démographique, décroissance du niveau de vie des riches, acceptation d’une société conviviale ou pauvreté ne rime pas avec misère matérielle et morale. Il nous faut un engagement personnel de tous. Sans le savoir encore, je devenais un disciple d’Arne Naess.
Contrairement à la confusion que fait Luc Ferry dans son livre, la notion de deep ecology n’est pas américaine, elle a été forgée par le philosophe norvégien Arne Naess en 1976. Mais son livre « Ecologie, communauté et style de vie » n’a été traduit en français qu’en 2008 : aussitôt paru, aussitôt acheté par moi ! Arne a construit cette notion de deep ecology pour créer une différence théorique et politique avec une position écologique qu’il appelle « superficielle » (shallow ecology). Par-là, au type d’action « luttant contre la pollution et l’épuisement des ressources », il proposait de repenser radicalement notre mode de vie, mode de consommation comme conception du monde – politiques, morales et ontologiques. Cette distinction est une critique des intellectuels qui s’attachent à l’idée de « capitalisme vert », c’est-à-dire une façon de prendre en compte la nouvelle donne écologique à l’intérieur du capitalisme, plutôt que d’y voir une nouvelle invitation à le combattre. La distinction faite par Naess entre « superficiel » et « profond » est donc politique et porte principalement sur la différence que crée le fait d’accepter ou non de changer nos modes de vie comme notre manière de pensée. Cette distinction peut être considérée comme un opérateur posant la question de l’articulation de la morale et de l’économie. En ce sens, comme en bien d’autres, Naess est un précurseur. Il avait proposé cette distinction écologie profonde/superficielle dès 1973 en pensant déjà aux récupérations dont l’écologie serait de plus en plus l’objet dans le futur. J’ai aussi trouvé formateur les entretiens d’Arne Naess avec David Rothenberg (1992, traduits en 2009, Wildproject). Depuis je n’ai eu de cesse de combattre les énormes contre-sens que font la plupart des auteurs français sur l’écologie profonde.
Voici par exemple un échange que j’ai eu avec l’auteur de La tentation de l’île de Pâques (2010). Jean Aubin reprend des accusations qui se retrouvent chez des gens comme Luc Ferry ou Claude Allègre dans l’intention de nuire à cette philosophie.
Le texte de Jean Aubin : « La disparition prématurée de l’espèce humaine n’est pas totalement exclue. Tant mieux répondent certains tenants de l’écologie profonde… Pour ceux-ci, l’homme, superprédateur, est devenu une espèce malfaisante. Le mieux qui puisse arriver est qu’elle disparaisse pour laisser vivre la planète. Cette attitude de haine contre l’homme s’oppose totalement à notre regard. Nous partons ici d’un a priori humaniste… » (page 27)
– Notre analyse, envoyée à Jean Aubin : « L’expression « certains tenants » (de l’écologie profonde) permet de pouvoir relayer n’importe quelle rumeur, mais ce n’est pas très moral vis à vis de ceux qui savent vraiment ce que deep ecology veut dire. Le terme d’écologie profonde a été introduit par Arne Naess dans un article de 1973 « The shallow and the deep, long-range ecology movements ». On peut maintenant lire Arne Naess en langue française (éditions MF et wildproject). Cette philosophie repose sur l’épanouissement de Soi, ce n’est pas un anti-humanisme mais au contraire un humanisme élargi. Loin de vouloir la disparition de l’espèce humaine, elle repose sur l’art de débattre et convaincre selon les méthodes gandhienne de la non violence. »
– Réponse de Jean AUBIN à cette analyse : « Reproche mérité ! L’expression, « certains tenants » permettait, me semblait-il, d’apporter une distinction suffisante, mais cela ne semble pas être le cas : ma phrase reste maladroite et peut sembler jeter le discrédit sur ce courant de pensée. Peut-être aurais-je dû écrire certains déviants, ou mieux, ne rien écrire du tout sur un courant de pensée que je connais trop mal pour en parler… ça m’apprendra à ne pas faire le malin en parlant de ce qu’on connaît mal. Je vais essayer de trouver le temps de me familiariser davantage avec l’écologie profonde… »
Les moyens de l’écologie profonde reposent sur la non-violence, ce qui correspond à mon engagement constant d’objecteur de conscience. Arne Naess, dans « Ecologie, communauté et style de vie » (p.63 et suivante, éditions MF 2008), est clair sur cette question : « L’expérience accumulée ces dernières années indique que le point de vue écologique avance grâce à une communication politique non-violente qui mobilise à la racine. Historiquement, les voies de la non-violence sont étroitement associées aux philosophies de la totalité et de l’unicité. Maximiser le contact avec votre opposant est une norme centrale de l’approche gandhienne. Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risques qu’il fasse usage de la violence. Exemple, nous ne devons pas émettre de slogan général contre la technologie. Les technologies doivent être essentiellement légères ou « proches » ; les choses sont faites dans le voisinage, ou du moins de régions aussi proches que possibles. Vous gagnez au bout du compte quand vous ralliez votre opposant à votre cas et que vous en faites un allié. La violence à court terme contredit la réduction universelle à long terme de la violence. »
Je pense que le XXIe siècle sera le moment où nous abandonnerons notre anthropocentrisme actuel pour ce postulat philosophique à la base de l’écologie profonde : « Il y a égalitarisme biosphèrique de principe. Les ressources du monde ne sont pas seulement des ressources pour les êtres humains. Légalement, nous pouvons posséder une forêt, mais si nous détruisons les conditions de vie en forêt, nous transgressons une forme de l’égalité. L’égalité de droit à vivre et à s’épanouir est un axiome éthique intuitivement évident. Sa restriction aux humains est un anthropocentrisme aux effets négatifs sur la qualité de vie des humains eux-mêmes. Cette qualité dépend en partie de la satisfaction que nous recevons de notre étroite association avec les autres formes de vie. Tenter d’ignorer notre dépendance, établir avec la nature un rôle de maître à esclave, a contribué à l’aliénation de l’homme lui-même. » (Ecologie, communauté et style de vie d’Arne Naess)
Alain Hervé, cet historique de l’écologie, m’a tenu personnellement le même discours en 2011 sans même connaître le terme écologie profonde : « L’écologie n’est pas une prise de position religieuse ou politique, c’est admettre que nous sommes de simples éléments de la nature, c’est une nouvelle philosophie. Il nous faut abandonner notre anthropocentrisme pour ressentir profondément notre appartenance à la communauté des vivants. L’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme ne me satisfait absolument pas. L’humanisme devrait consister à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. Sinon nous devenons des destructeurs terrifiants, nous enfantons beaucoup plus de Hitler que de Mozart… On fait des parcs naturels, ce sont des alibis pour répandre la merde autour… L’homme a été doté d’une capacité de transformation trop brutale de l’environnement. Nous sommes devenus des dictateurs assassins du vivant. Nous échappons aux régulations naturelles comme les épidémies. Pasteur a conjuré la mortalité infantile naturelle. Il ne savait pas qu’il contribuait ainsi à rompre l’équilibre démographique. Maintenant le milliard d’hommes qui naissent et meurent affamés n’accède plus vraiment à l’état humain, il en reste à un état infra-animal… »
Que faire ? A mon avis, désacraliser la mort ! (la suite, demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde
thèse d’Alain Hervé : « L’humanisme devrait consister à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. »
antithèse de Michel C. : « Personnellement, l’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme me satisfait pleinement. »
synthèse : choisit ton camp, camarade. Pourtant y’a pas photo ! D’un côté ceux qui pensent comme à l’ère des Lumières, mettant sur un piédestal homo sapiens à l’image des dieux, avec le droit de tout bousiller autour de soi. De l’autre ceux qui pensent que l’humanisme se trompe si on lui fait dire que les humains peuvent bien vivre dans un monde de ville, de ciment et de goudron au détriment de toutes les autres formes de vie. Michel Sourrouille l’explique parfaitement dans son chapitre, dommage qu’on fasse comme si on ne l’avait pas lu !!!
Claude Lévi-Strauss en 1955 : « Tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes. Ce sont là des témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui (…) Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres avant l’amour-propre (Tristes tropiques »)
Discours de Claude Lévi-Strauss en 2005 à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya : « Si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création. Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations.
Thèse, antithèse, synthèse… et antisynthèse. Ping-pong, ping-pong !!!!
Dommage que Biosphère fasse comme s’il n’avait pas lu ce que je raconte !!!
Notamment À 12:03. Et/ou qu’il n’en retienne que ce qui l’arrange.
Pourtant y’a pas photo ! Nulle part je défends l’idée selon laquelle l’Homme aurait de droit de tout bousiller autour de lui. Dommage qu’ON fasse comme si c’était ça que j’avais dit !!!
Désacraliser l’humanité… nous y voilà ! Voilà donc où nous mène cette « profonde ».
Non seulement à se considérer, à titre individuel ,comme quelque chose d’insignifiant, perdu quelque part dans l’univers… ce qui en effet nous remet d’un certain côté à notre juste place… mais à voir l’ensemble de l’humanité comme un parasite (ultime), un cancer, une erreur de Dame Nature etc. bref comme la pire des saloperies.
Voilà donc où mène cette drôle de philosophie (sagesse ?) dont les disciples seraient des êtres exceptionnels, de véritables sages, autrement dit de vrais zécolos, des purs et durs !
( à suivre )
Pour moi, désacraliser l’humanité revient à placer l’Homme au même niveau que n’importe quelle bête, plante, champignon etc. Et pourquoi pas un caillou ?
Désacraliser l’humanité c’est nier ou renier tout ce qui nous en différencie. Hors-mis bien sûr cette extraordinaire aptitude à la Bêtise, qui chez certains spécimens s’apparente à la bestialité. Désacraliser l’humanité c’est renoncer à l’idée de ce Sapiens enfin digne de ce nom, bref c’est la porte ouverte au nihilisme et au Grand N’importe Quoi.
En attendant, s’il parvenait à comprendre tout ça… je serais curieux de savoir ce qu’en penserait mon chien. Ou n’importe quel chat, cheval, caillou… n’importe quelle baleine, carotte, peu importe.
– « L’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme ne me satisfait absolument pas. L’humanisme devrait consister à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. Sinon nous devenons des destructeurs terrifiants, nous enfantons beaucoup plus de Hitler que de Mozart… » (Alain Hervé)
Là encore tout est dans l’idée que chacun se fait d’un mot, ici « humanisme ».
Personnellement, l’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme me satisfait pleinement. C’est d’ailleurs la définition que nous en donnent tous les dictionnaires.
Un cercle est un cercle ! Seulement on sait qu’à forces de répétitions etc. un cercle peut très bien devenir un carré (Goebbels).
Et en même temps… pour moi l’humanisme consiste justement à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. Sapiens enfin digne de ce nom.
« L’humanisme devrait consister à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. Sinon nous devenons des destructeurs terrifiants, nous enfantons beaucoup plus de Hitler que de Mozart… »
L’humanisme n’est qu’une idéologie stupide ! Ce qui rend un humain moins agressif et le pacifie ce sont les ressources; accès aux ressources naturelles, aux biens et aux services. Moins il y a de ressources et plus la population devient agressive ! D’ailleurs ce n’est pas pour rien que les politiciens et autres bourgeois achètent la paix sociale avec des minimas sociaux, il s’agit de remplir les ventres pour calmer l’agressivité de la population en question. Ceux qui se prétendent humanistes sont juste des individus aux ventres bien pleins ! D’ailleurs lors de l’entretien entre Jancovici et Natacha Polony, cette dernière admet que l’agressivité de la population français augmente au fur et à mesure que le pays s’appauvrit !
Vidons les ventres de ceux qui se prétendent humanistes et on va voir s’ils vont rester aussi humanistes que ça ! L’homme est un animal comme les autres, il obéit aux lois de la nature, autrement dit il doit obéir aux relations proies-prédateurs pour survivre ! L’homme serait bien faible face à nombre d’animaux, mais ce qui lui a permis d’inverser la tendance étant l’invention des armes, d’abord des lances et des javelines avec un silex de pointe, des arcs, des arbalètes, puis la métallurgie a permis un bond spectaculaire sur la sophistication des armes, jusqu’à obtenir des armes à feu ! Sans les armes on se serait fait becqueter depuis belles lurettes ! Ce sont les premiers chasseurs qui ont inventé grand nombre de choses, dont l’art par la peinture et la danse !
Beaucoup d’humanistes gauchos se racontent des histoires à eux-mêmes ! Par exemple ce n’est pas par bonté humaine que l’esclavagisme a été aboli, mais la rentabilité accrue obtenue par les machines et les énergies fossiles ! Beaucoup de philosophes recherchent la définition du bien, et ben c’est beaucoup plus simple qu’on ne le pense ! En effet voici la définition la plus objective du bien « même s’il est possible à l’être humain de se comporter parfois de manière altruiste, malgré tout chacun agit pour son bien avant tout ! »
Bref, au fur et à mesure que les énergies fossiles vont disparaître, alors les humains retourneront dans leurs instincts primordiaux ! Tous ces contes pour enfants à propos d’humanisme disparaîtront ! Les luttes entre humains reprendront férocement, Gaïa rétablira la sélection naturelle !
C’est sûrement grâce à tes Tarots que tu peux nous dire (et parier) ce qui va se passer au fur et à mesure que les énergies fossiles vont disparaître (sic).
Seulement je suis curieux de savoir ce que tes Tarots te disent de ce qui se passera après la Tempête. Dans l’hypothèse où il est toujours là… à quoi ressemblera l’Homme ? Disons dans 1000 voire 10.000 ans. Sera-t-il toujours aussi con qu’avant ? Ou bien encore plus. Ou alors un peu moins, ce qui serait déjà bien. Allez, éclaire nous de tes grandes lumières… je veux savoir.
Et toi c’est quoi ta grille de lecture ? Le droit à la paresse de Paul Lafargue et Manifeste du parti communiste de Marx et Engels ? C’est tout !