Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Premiers contacts avec l’écologie (suite)
En mars 1971, je réalise que l’agriculture est vraiment le secteur primaire, au sens de fondamental, absolument nécessaire à notre subsistance, ce sans quoi il n’est rien d’autre possible. Or d’une part il y a destruction de la terre nourricière, d’autre part il y a coupure de plus en plus radicale de l’homme envers la terre. Le circuit de distribution est de plus en plus complexe, donc de plus en plus fragile ; une désorganisation pourrait entraîner panique et peut-être même famine. Je commence à maîtriser les rudiments de l’agriculture biologique. Les produits chimiques s’adressent directement aux végétaux auxquels ils amènent des produits synthétiques qui donne des produits fragiles. On augmente les doses d’engrais pour aboutir finalement à des rendements décroissants. De plus toute possibilité d’autodéfense de la terre contre les destructeurs disparaît.
Par contre la culture biologique favorise le développement des microorganismes qui peuvent alors apporter aux végétaux un aliment complet. Il y a rendement optimum et continu puisque le tissu nutritif du sol peut se reconstituer naturellement. Je pense que la culture maraîchère sur de petites surfaces est plus avantageuse que la culture intensive. Il est d’ailleurs bien clair pour moi que les ressources entières de la terre ne suffiraient pas aujourd’hui à procurer à tous les habitants de notre planète le niveau de vie de messieurs les Américains…
Ce n’est pas mes cours de fac qui peuvent m’amener à de telles idées ! Les physiocrates peut-être, qui considèrent que seule l’agriculture est productive ?
Le 8 avril 1971, je note grâce à Historia que le CO2 est en principe inoffensif. Il ne constitue que 0,5 pour mille de l’atmosphère. Mais l’humanité en déverse 100 millions de tonnes supplémentaires chaque année. Or le CO2 est opaque à l’infrarouge, rayonnement par lequel la terre renvoie une grande partie de l’énergie solaire qu’elle reçoit. Une trop grande croissance du CO2 dans l’atmosphère pourrait faire en sorte que la température du globe s’élève ; les glaces polaires pourraient fondre. Je savais donc déjà cela en 1971, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sera fondé qu’en novembre 1988 et les climato-sceptiques se sont déchaînés au début des années 2000 !
Je note aussi en 1971 qu’une fusée comme Saturne abandonne 200 tonnes d’hydrogène dans la haute atmosphère. Or cet atome détruit l’ozone qui enveloppe le globe et nous protège des radiations ultraviolettes du soleil. On ne parlera que bien plus tard du trou dans la couche d’ozone ! Le comité pour l’environnement du sénat américain a calculé que la chaleur qui serait diffusée dans l’atmosphère en l’an 2000 si chaque citoyen du monde en venait à dépenser la même quantité d’énergie que l’Américain moyen en 1970, alors les glaces du pôle fondraient. Je prends vraiment conscience que c’est un suicide collectif que de vouloir rattraper le niveau de vie américain.
Une autre de mes notules à l’époque: « Pourquoi la croissance, pourquoi consommer, pourquoi toujours plus, pourquoi faire des enfants ? Pourquoi se déplacer, pourquoi ne pas trouver le bonheur avec sa voisine de palier ? A quoi sert-il de consacrer des millions de francs pour découvrir un nouveau produit pharmaceutique quand on sait par ailleurs que le cancer est causé en grande partie par la multiplication des substances carcinogènes ! La solution, remplacer le plus avoir par le plus être. Jusqu’ici les médias diffusent les mythes de la société moderne, la richesse, le développement, l’exhibitionnisme et le gaspillage. Des savants proposent la régression industrielle systématique. Je considère même personnellement la décroissance possible, si ce n’est nécessaire. »
Je pense en 1971 qu’une inquiétude plus profonde est en train de naître au cœur des hommes ; notre actuelle course à l’argent peut faire sans tarder place à autre chose. Je perçois aussi que les pays industriels sont plus vulnérables que les pays du tiers-monde à une désorganisation structurelle.
Le 13 avril 1971, j’écris à Pierre Fournier, l’écolo de service à Hara-Kiri : « Avec l’urbanisation de la campagne, la vie s’accorde de moins en moins directement aux rythmes biologiques et naturels. L’obligation faite de se mouvoir dans un espace plus restreint et artificiellement construit amèneront progressivement l’individu à perdre son autonomie individuelle. Quant à ton régime végétarien, c’est une profession de foi. Tu n’as pas expliqué en quoi ce serait une rationalisation de la conduite individuelle. Pour moi, un brin d’herbe est aussi respectable qu’un agneau, et il faut bien marcher et bouffer… Mais j’aime bien ce que tu écris… »
J’estime avec Fournier que l’équilibre écologique de notre planète est définitivement rompu. Je pense dorénavant que la paysannerie est le fondement biologique de l’humanité, l’urbanisation trop poussé pourrait devenir un génocide différé.
Dans LE MONDE du 18-19 avril 1971, le ministre de l’environnement Poujade : « On a dit que les pollueurs seront les payeurs. C’est une bonne formule qui n’est pas à écarter, mais il faut comprendre que les pollueurs paient aussi les ouvriers. Si on les étrangle économiquement, ils risquent de ne plus pouvoir payer ni le coût de la lutte contre la pollution, ni leurs investissements, ni leurs ouvriers. »
Déjà l’économie joue politiquement gagnant face à l’écologie, déjà un ministre oppose l’emploi et le respect des écosystèmes. Qui donc nous protégera contre les ministres de l’environnement ? Je me pose des questions du genre « Pourquoi développer constamment la production d’énergie ? » Je trouve que la demande d’électricité ne correspond plus à des besoins véritables. Je constate que la consommation ne peut plus fonder le nébuleux concept de « niveau de vie » ; elle correspond plutôt à la production de déchets et à la dégradation de la qualité de l’environnement. Il est difficile de suivre les effets d’un polluant dans le temps et il y a aussi une synergie des différents polluants. J’en déduis qu’il faut maintenant maîtriser les phénomènes de la vie (les écosystèmes) et non plus seulement ceux de la matière.
Je découvre donc en cette fin de quatrième année de sciences économiques (l’équivalent d’une maîtrise) que l’écologie va se dresser contre l’économie. Ce sera la recherche de l’optimum contre le culte du maximum. L’économie demande des réponses à brèves échéances, l’écologie envisage le long terme. Peut-être que quand on réalisera cette contraction, il sera trop tard pour agir. En économétrie, on préfère encore étudier le modèle fifi (physico-financier). L’information sur la pollution donnée par les mass media est en général présentée de façon déformée, inspirée par de puissants intérêts économiques ou par l’ignorance des fondamentaux par les journalistes.
En mai 1971, je m’abonne à « Survivre » de Grothendieck, par le biais duquel j’ai des contacts personnels à Bordeaux avec le fils Mendes-France, Michel. Il a une belle petite Volkswagen, peinturlurée façon hippie. Mais pas un grand sens de l’organisation. Le 14 juin 1971, je découpe des coupures de presse, sur les actions de la SEPANSO (« La nature, elle, n’attend pas »), sur « Alerte à l’accroissement du bruit dans les villes », sur « L’incinération d’une bouteille en matière plastique qui pollue 30 m3 d’air »… Le 15 juin 1971, j’écris à Grothendieck, de « Survivre journal ». Grothendieck, un mathématicien célèbre qui a tout compris de l’inanité des études scientifiques sans conscience et des menaces qui pèsent sur notre survie. Ma lettre n’était pas à sa hauteur !
Bientôt le PNB va s’accroître parce que l’eau et l’air seront des bien rares et donc monétarisés. Déjà le PNB commence à signifier Pollution nationale brute. Je questionne les emballages plastiques qu’on retrouve partout, l’évacuation des produits dangereux dans la nature, les nappes de mazout, les containers éclatés contenant des déchets radioactifs, la diffusion du DDT… Je questionne l’atomisation de l’habitat où la vie n’est saisie que dans sa matérialité, l’embouteillage qu’on subit patiemment seul à son volant…
Il faudrait intégrer les déséconomies externes dans le tableau de Leontief ! Mais l’analyse coût-avantage n’en est qu’à ses premiers balbutiements. On peut d’ailleurs douter qu’elle dépassera jamais ce stade. Car il me paraît impossible d’évaluer objectivement les déséconomies externes ou de formaliser des seuils de sécurité. Je rêve cependant d’une planification pour la sauvegarde de l’environnement. Je consulte le bulletin interministériel sur la RCB (rationalisation des choix budgétaires) qui s’interroge doctement sur la valeur de l’environnement. Par exemple comment cerner la valeur des forêts suburbaines ? Mais on fait seulement référence à leur valeur récréative en envisageant des études de fréquentation et des enquêtes de motivation ! (à suivre demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde