humanisme et anthropocentrisme

L’écologie profonde est un renversement copernicien. Dans nos civilisations occidentales saturées de sentences bibliques  (« Remplissez la terre et l’assujettissez  » ordonne la Bible dans la Genèse), le changement de perspectives se heurte à des verrous rouillés au fil des siècles. Pourtant les recherches et découvertes scientifiques  montrent l’unité du monde vivant. Alors, dans un premier temps, ne retenons de l’écologie profonde, que l’exercice de décentrement. Nous plaçons l’homme au centre, voyons ce que cela donnerait de ne pas l’y mettre, de le remplacer par le phénomène de la vie. Supposons-nous gestionnaire de forêt. Pour bien des sylviculteurs, une forêt n’est une usine à bois. Voici que nous croisons, rencontre toujours émouvante, un chevreuil. Et voici que nous nous demandons : après tout, à qui appartient cette forêt ? A l’homme seul ou aussi au chevreuil, à la fourmi, au perce-neige ? N’y a-t-il pas des titres de propriété à partager ? Ce sentiment ou cette réaction induirait un type d’aménagement  auquel nous ne pensions pas, une plus forte sensibilité à la préservation de la faune et de la flore, une démarche pour ce qui deviendrait un véritable humanisme. En somme, prenons l’écologie profonde pour ce qu’elle est une méthode pédagogique qui vaut le détour.

En effet, devons-nous absolument choisir : l’homme OU la nature ?  Sommes nous condamnés à humanisme = anthropocentrisme ?  L’homme ET la nature est-ce vraiment la catastrophe ? Un humanisme  incluant le respect des formes de vie non pour leur utilité immédiate mais parce qu’elles existent et que nous sommes tous, humains et non humains, dans la même galère de l’Evolution,  est-il impossible par essence ? 

Relisons Claude Levi-Strauss pour qui notre  humanisme est « dévergondé » : « …Que règne, enfin, l’idée que les hommes, les animaux et les plantes disposent d’un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes, ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui. » (« Le regard éloigné » Plon, 1983)