Le numérique ne fait pas de cadeau à l’intelligence humaine. Par écrans interposés, elle nous impose une vision rétrécie du monde et des rapports humains. Philippe Desmurget l’avait déjà bien montré dans son livre TV lobotomie : Le diagnostic est simple, TV lobotomie. La vie est dangereuse pour les hommes. L’alcoolisme, le bavardage et l’automobile en font déjà des abrutis. Pourtant on a rajouté la télé. Il ne s’agit pas de mettre Arte sur toutes les chaînes et d’imposer des préférences culturelles. Il n’y a pas une bonne ou une mauvaise télévision. Il est préférable qu’il n’y ait pas de télévision du tout. Les influences médiatiques sont subtiles, cumulatives, et interviennent sur une longue période de temps ; parents, pédiatres et éducateurs peuvent ne pas être conscient de leur impact. Il n’empêche que la possibilité de penser par soi-même s’effondre.
Dans un article récent*, Philippe Desmurget confirme son diagnostic de 2011 : « Nous avons une seule certitude pédagogique : pour bien grandir, l’enfant a besoin qu’on stimule sa psyché. Dès la naissance, il a besoin qu’on l’aime, qu’on lui parle, qu’on joue avec lui. Il a besoin de parents, de présences tutélaires. Or on substitue à la présence humaine un incroyable fatras de prothèses numériques, ordinateur, tablette, télévision, smartphone. C’est la génération de l’écran ! Comment peut-on imaginer que l’impact profondément négatif de tous ces gadgets sur la qualité des relations interpersonnelles précoces n’affectera pas le développement émotionnel, social et cognitif de l’enfant ? Etude après étude, les preuves s’amoncellent pour montrer la toxicité de tous ces substituts humains. Les élèves qui utilisent le plus les technologies numériques dans le cadre scolaire obtiennent les résultats les plus déplorables. Une observation qui fait suite aux nombreuses recherches montrant l’effet néfaste des écrans récréatifs (smartphones, télé, jeux vidéo, etc.) sur la réussite scolaire, le langage, la créativité, la tolérance à l’effort et l’attention endogène. Le cerveau ne se câble pas de la même façon lorsqu’il est nourri ou privé de stimulations humaines. Les compétences comme l’autodiscipline (dont le pouvoir prédictif est deux fois supérieur à celui du QI), le goût de l’effort (notamment intellectuel) et la persistance (comprise comme capacité à travailler sans récompense immédiate, en vue d’un but lointain) souffrent de l’addiction à l’écran.
Ne pourrions-nous pas, plutôt que de dilapider des milliards dans des technologies numériques, investir dans l’humain et la culture afin de lutter vraiment contre les inégalités sociales et donner à tous nos enfants, d’où qu’ils viennent, la même chance de grandir vraiment ? »
* LE MONDE science&médecine du 6 janvier 2016, Plus d’humain et de culture dès le plus jeune âge
Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences (Inserm-CNRS). Joël Jouanneau, auteur et metteur en scène de théâtre. Anne-Laure Rouxel, chorégraphe.