Même si mon cœur va aux objecteurs de conscience, j’ai toujours pensé que l’armée dans les temps modernes allait voir son statut changer radicalement. Que ce soit dans l’ex-Yougoslavie, en Côte d’Ivoire ou ailleurs, l’armée française est déjà devenue une force d’interposition, un gage de paix, pour ainsi dire une gendarmerie internationale. Au niveau interne, l’armée va bientôt devenir la « spécialiste du chaos »*. En effet, alors que les militaires ont de plus en plus de mal à se trouver des adversaires définissables dans un monde contemporain où la souveraineté nationale est internationalement reconnue et protégée, la montée des périls écologiques offre de nouvelles perspectives. C’est entre autres le climat qui devient « le nouvel ennemi de l’armée française »*.
Je n’entre pas dans le cœur de cet article d’Hervé Kempf qui pose bien les problèmes, à commencer par le fait que l’armée est plutôt climato-sceptique. Je vais m’attarder sur le fait que l’armée française, donc notre appareil politique, est encore en retard de plusieurs guerres : la guerre du climat, la guerre du pétrole, la guerre de l’eau, etc. Contre les guerres que nous menons contre la Terre, notre force de dissuasion apparaît pour ce qu’elle est, ridicule. Un rapport confidentiel du Pentagone sur le changement climatique date déjà d’octobre 2003. Comme l’administration américaine avait étouffé ce document, son existence ne fut divulguée que par des indiscrétions en février 2004. Le rapport concluait : « Nous ne prétendons pas prédire la manière dont le changement climatique va se produire. Notre intention est de rendre parlants les effets que celui-ci pourrait avoir sur la société si nous n’y sommes pas préparés. Les sociétés les plus combatives sont celles qui survivent ». Il était aussi symptomatique que le prix Nobel de la paix ait été décerné le 12 octobre 2007 au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le comité cherchait ainsi à « attirer l’attention sur les processus et les décisions qui paraissent nécessaires pour protéger le futur climat du monde, et ainsi réduire la menace qui pèse sur la sécurité de l’humanité ». Il était significatif qu’Harald Welzer ait pu écrire en 2009 tout un livre sur les guerres du climat.
Comme l’insécurité écologique est principalement rattachée à la problématique énergétique et pétrolière, des rapports militaires de la Bundeswehr ou du Pentagone se préoccupent vraiment de l’insécurité qui suivra le pic pétrolier (voir le blog De Matthieu Auzanneau). Fin mars 2010, le Pentagone publiait un rapport envisageant “une crise énergétique sévère” d’ici à 2015. Si elle advient, cette crise fera des dégâts colossaux, souligne l’état-major interarmées US. Le rapport du Pentagone table sur un déficit de production face à la demande qui atteindrait en 2015 l’équivalent de la production de l’Arabie Saoudite ! Il est clair que les armées seront les seules à pouvoir gérer le chaos qui s’annonce. Puisse cela se faire dans la concertation internationale…
* LE MONDE du 15 mars 2012, Le climat, nouvel ennemi de l’armée française
(Les militaires commencent à intégrer les multiples conséquences du réchauffement dans leurs réflexions)