L’électronisation de la monnaie, une erreur historique

La télévision analogique a été remplacé par le numérique, le téléphone fixe a été démodé par le téléphone portable, la carte bancaire a détrôné le chèque… Ainsi va notre vie quotidienne où l’électronique se veut reine. Maintenant les banques veulent organiser la disparition du chèque* ! Cette dépendance organisée envers le tout-électrique nous prépare des lendemains qui déchantent car elle supprime toute possibilité d’indépendance à l’égard des centrales nucléaires, de l’importation d’énergies fossiles et de la mégamachine sociale (EDF). Brossons à grand trait l’histoire passée et future de la monnaie.

Etape 1. Sociétés non monétaires, groupes restreints. Plutôt que le troc, ces communautés reposent sur un échange ritualisé et sur une complémentarité des fonctions de chacun dans le groupe social. Tout est organisé de façon stable sans passer par l’intermédiaire d’une monnaie. L’introduction de la monnaie va déséquilibrer complètement ce genre d’organisation.

Etape 2. Introduction de la monnaie marchandise (or et argent) pour assurer un commerce souvent lointain pour des denrées de luxe. Cela va permettre l’expansion des échanges suivant la formule M = Q : les Quantités échangées sont fonction de la Monnaie en circulation. Nous rentrons dans un engrenage croissanciste, plus la monnaie sera abondante plus il y aura d’échanges (sauf inflation si l’activité ne suit pas l’expansion monétaire).

Etape 3. Le coût de l’échange et la division croissante du travail incite à la création de pièces et billets qui, rapidement, ne vont plus être convertibles en or. Il n’y a plus de limites à la création monétaire (planche à billets), donc à l’expansion des échanges. La monnaie devient fiduciaire, reposant sur la confiance dans un billet comme moyen de paiement assurant une contrepartie marchande.

Etape 4. Le chèque ou monnaie scripturale facilite encore plus la création monétaire : il suffit d’écrire une ligne de compte sur un papier ou dans le bilan d’une banque. Cela accompagne la croissance vertigineuse des échanges économiques lors des Trente glorieuses (1947-1974). L’abrogation de la loi qui oblige à verser les salaires sur des comptes en banques rendrait les banquiers un peu moins arrogants et un peu plus proche du terrain concret.

Etape 5. La monnaie électronique avec la carte bancaire est le summum de la dématérialisation de la monnaie : celui qui paye n’a plus aucun contact direct (or, billet, chèque) avec le système monétaire. Cela facilite la financiarisation de l’économie, l’union des banques de dépôt et des banques d’investissement en un seul organisme. En fait la spéculation devient telle que la monnaie en circulation dépasse de beaucoup la valeur monétaire des quantités réelles à acheter. Pour un nombre de plus en plus de personnes, la carte bancaire se transforme en carte de crédit. L’endettement se généralise, que ce soit celui des ménages ou de l’Etat. Nécessairement, à un moment ou un autre, le système s’effondre puisqu’il n’y a plus de cohérence entre la masse monétaire en circulation et l’économie réelle : crise des subprimes en 2008, qui succède à bien d’autres crises financières. Cela explique mon refus personnel de la carte bancaire et ma tendance croissante à revenir aux pièces et billets comme moyen de paiement : pour en revenir à l’essentiel de nos besoins…

Etape 6, en gestation à l’heure actuelle : les systèmes d’échange local sont une réaction à cette démesure de la création monétaire qui accompagne le fait d’exploiter plus que ce que la planète peut nous fournir durablement. Il faut une relocalisation de l’activité, évolution favorisée par une monnaie locale ou un système d’échange local (SEL). En effet la relocalisation de la monnaie va nécessairement s’accompagner d’une relocalisation des échanges, donc d’une recherche d’autonomie énergétique et alimentaire qui constitue l’objectif d’une communauté de résilience (dite aussi de transition).

* LE MONDE du 6-7 mai 2012, Les chèques pourraient disparaître pour cause de coût

Conseil de lecture : Les monnaies locales complémentaires : pourquoi, comment ? de Philippe Derudder (Yves Michel, 2012)