Emmanuel Druon a beau être PDG, le luxe n’est pas son monde. Ce chantre de la sobriété a opté pour le salaire minimum. Il est à la fois Industriel et écolo, patron et « collègue » de ses salariés. Fabricant des enveloppes Pocheco, c’est un oxymore fait homme, guetté par la schizophrénie entrepreneuriale : « D’un côté, il faudrait que l’entreprise ait une croissance continue, se développe sur un continent, puis deux, avale ses concurrents, etc. De l’autre, les ressources s’amenuisent et le réchauffement climatique risque d’entraîner des catastrophes. En tant qu’industriel, on se sent à la fois impuissant et responsable. » Son expérience a obtenu un écho impressionnant grâce à son témoignage dans Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent. « On peut entreprendre sans détruire », assure-t-il à juste titre. Pour un arbre coupé afin de fabriquer la pâte à papier, dix sont replantés. Tous les éléments toxiques utilisés dans les encres ont été retirés. Une bambouseraie a été installée : « C’est une station d’épuration très efficace », constate Druon. Grâce à sa toiture végétalisée, Pocheco récupère aussi l’eau de pluie et la réutilise pour nettoyer les machines. Ajoutez à cela une dose d’anti-management. Peu de hiérarchie. Pas de dividendes pour le PDG, seul actionnaire. Tous les bénéfices sont réinvestis ou mis de côté. « Nous sommes une équipe soudée parce que nous avons un projet commun, qui est de produire sans laisser de traces, explique Emmanuel Druon. On a ainsi créé une bulle protectrice contre la violence économique. » Mais chaque année, les Français échangent plus d’e-mails et envoient moins de courriers. Il faut donc être le moins cher, « Coup de bol, en simplifiant nos recettes dans un but écologique, on a aussi réduit nos coûts ».
Malgré ces efforts, Pocheco demeure sur la corde raide, à la merci du moindre accroc. Des dotations aux investissements insuffisantes en 2016-2017, et revoici l’entreprise dans le rouge… Mais les technologies numériques sont si destructrices… y compris de nos libertés individuelles ! Les actions de la PME pour réduire son empreinte sur l’environnement sont en train de lui ouvrir de nouvelles perspectives, Pocheco joue désormais les centres de formation sur ce type de sujets. Le PDG fait le calcul : « En trois ans, on a créé 25 postes, qui s’ajoutent aux 110 personnes en production. » Soudain, le « Pierre Rabhi de l’enveloppe » soulève ses lunettes et se met à rêver à l’essor que pourrait prendre l’« écolonomie », cette alliance d’écologie et d’économie. Son thé a refroidi. Sobre jusqu’au bout, Emmanuel Druon n’a pas touché au fondant aux amandes. Il range son carnet dans sa sacoche, entre deux livres. Ah, les livres ! Réconcilier le « nous » et le « je », une tâche peut-être encore plus ardue que de conjuguer écologie et économie dans ce monde si âpre, glisse l’auteur du Syndrome du poisson-lune. Un manifeste d’anti-management (Actes Sud/Colibris, 2015) et d’Ecolonomie. Entreprendre sans détruire (Actes Sud, 2016).
Les principales caractéristiques d’une entreprise écolo semblent donc être la sobriété généralisée, la réduction égalitaire des salaires, l’économie circulaire et le refus d’un certain progrès technique qui remplace le bon vieux courrier postal par les voies électroniques déshumanisées. Cet article que nous avons résumé est dans le supplément « l’époque » du MONDE* et non dans « éco&entreprises » du même jour. Tout un symbole : une entreprise à tendance écolo ne peut pas être une véritable entreprise pour ce quotidien.
* LE MONDE du 13-14 mai 2018, Un apéro avec Emmanuel Druon
Pocheco s’apprête à licencier 70 salariés sur 127 (LE MONDE économie du 13 juin 2018). Le choix de l’écologie pour ce fabricant d’enveloppes n’est pas porteur quand le marché se restreint : E-mails, réseaux sociaux et messageries instantanées font décliner le courrier postal de 7 % environ chaque année. Le maelstrom de l’informatisation à tout-va supprime les emplois aujourd’hui, les pannes d’électricité dans l’avenir redonneront des couleurs aux métiers traditionnels.