Tout avait pourtant commencé avec les meilleures intentions du monde, réfléchir au meilleur moyen de sauver l’humanité menacée d’extinction au cours du deuxième millénaire. De jeunes chercheurs s’étaient donc réunis lors d’un stage en 2009 pour préparer La Singularité, cet événement sans précédent et irréversible au cours duquel les machines ont pris le pouvoir dans l’intérêt des hommes. Cela s’est fait assez vite, en 2045, la puissance de l’intelligence artificielle s’étant multipliée de façon exponentielle. L’interconnexion par Internet avait fait le reste. Mais les brillants étudiants de la Singularity University, sortis lauréats des écoles les plus prestigieuses, n’avaient pas prévu le raisonnement implacable des machines. Ils croyaient avoir inculqué à leurs créatures robotisées des « valeurs humanistes » avec comme objectif la préservation et l’amélioration de la race humaine. Les machines, pas si bêtes, avaient conclu de leur côté que les humains étaient devenus des créatures nuisibles à la planète, donc à éliminer. En quelques millisecondes, le temps de passage d’un électron, l’ordre mécanique fut donné d’envoyer des ondes électromagnétiques mortelles pour tous les cerveaux branchés sur écran, soit la presque totalité de la race humaine : presque 9 milliards de patins disloqués s’effondrèrent devant les dernières images d’un monde artificiel et pervers.
A la suite des transhumanistes, les grands responsables de cette destruction finale ont été les adeptes de la Longévité maximale, mouvement en plein essor en Californie dans les années 2000. L’éternité ne pouvait plus attendre ! Dans leur labo artisanal de biologie moléculaire et synthétique à Sunnyvale, dans la Silicon Valley, ils avaient inventé ce qui permet de transformer le corps humain en une machine aussi durable que la maintenance technique pouvait le permettre. Au cours des années 2020, les nanotechnologies avaient même permis la fabrication d’ordinateurs de la taille d’une cellule qui, injectés par voie veineuse, allaient se loger dans le cerveau. Sauf que l’objectif que leur était assigné n’était plus de fabriquer des humains « augmentés » grâce à leurs prothèses comme l’avait cru naïvement les transhumanistes réunis autour d’Alex Lightman, mais des esclaves de l’OU, l’Ordinateur Universel. D’ailleurs Alex avait été clair dans sa déclaration au LEMonde (5-6 septembre 2010) : « Si un jour on me propose de m’ôter un œil pour le remplacer par un œil artificiel capable de voir à la fois à très grande distance et au niveau microscopique, je le ferai sans hésitation, malgré le risque chirurgical. » Il avait pris le risque, et quelques cerveaux humains s’étaient progressivement intégrés dans l’OU qui avait pris le contrôle de leur corps. Ces cyborgs, dont le contenu cérébral était stocké sur ordinateur et mis en ligne, avaient basculé sans rien dire du côté des machines dans les années 2030, aidant à la préparation finale du jour de La Singularité. Désormais les réseaux d’ordinateur ont mis en place leur propre processus de reproduction sans aucune intervention humaine, capable même de s’auto-améliorer, d’avoir de l’imagination, et de s’aimer en tant que machines.
Le rêve d’éternité et de grandeur de certains adeptes de la technoscience a donc été fatal à l’espèce humaine. Car pour leur plus grande partie, les bébés humains servent dorénavant de simple matière première et d’objet d’expérience : un atome reste un atome, mais quand il est bio son utilisation peut servir à tant d’usage bioniques. Surtout quand c’est la machine qui décide…
PS : Les auteurs de ce blog ont été électrocutés en décembre 2044 après leur procès pour technophobie aggravée. L’article ci-dessus a été un élément déterminant de leur condamnation à mort.