Les obstacles à la population qui maintiennent le nombre des individus au niveau de leurs moyens de subsistance, peuvent être rangés sous deux chefs. Les uns agissent en prévenant l’accroissement de la population, et les autres en la détruisant. La somme des premiers compose ce qu’on peut appeler l’obstacle privatif ; celle des seconds, l’obstacle destructif. L’obstacle privatif, en tant qu’il est volontaire, est propre à l’espèce humaine et résulte d’une faculté qui le distingue des animaux ; à savoir, de la capacité de prévoir et d’apprécier des conséquences éloignées. L’homme, en regardant autour de lui, ne peut manquer d’être frappé du spectacle que lui offrent souvent les familles nombreuses ; il éprouve une juste crainte de ne pouvoir faire subsister les enfants qu’il aura à faire naître.
Dans un pays où la population ne peut pas croître indéfiniment, l’obstacle privatif et l’obstacle destructif doivent être en raison inverse l’un de l’autre : c’est-à-dire que dans les pays malsains, l’obstacle privatif aura peu d’influence. Dans ceux au contraire qui jouissent d’une grande salubrité, et où l’obstacle privatif agit avec force, l’obstacle destructif agira faiblement et la mortalité sera très petite. Mais il y a très peu de pays où l’on n’observe pas un constant effort de la population pour croître au-delà des moyens de subsistance. Cet effort tend constamment à plonger dans la détresse les classes inférieures de la société, et s’oppose à toute espèce d’amélioration dans leur état. Supposons un pays où les moyens de subsistance soient suffisant à sa population. L’effort constant qui tend à accroître celle-ci ne manque pas d’accroître le nombre des hommes plus vite que ne peuvent croître les subsistances. Aussitôt le pauvre vivra plus difficilement. Le nombre des ouvriers étant accru dans une proportion plus forte que la quantité d’ouvrage à faire, le prix du travail ne peut manquer de tomber ; et le prix des subsistances haussant en même temps, il arrivera nécessairement que, pour vivre comme il vivait auparavant, l’ouvrier sera contraint de travailler davantage. Pendant cette période de détresse, la population s’arrête et devient stationnaire. En même temps le bas prix du travail encourage les cultivateurs à employer sur la terre une quantité de travail plus grande qu’auparavant ; les agriculteurs défrichent les terres incultes, et s’emploient à fumer et améliorer avec plus de soin celles qui sont en culture ; jusqu’à ce qu’enfin les moyens de subsistance arrivent au point où ils étaient à l’époque qui nous a servi de point de départ. Les mêmes marches rétrogrades et progressives ne manqueront pas de se répéter. Une des principales raisons pour lesquelles on n’a pas beaucoup remarqué ces oscillations, c’est que les historiens ne s’occupent guère que des classes les plus élevées de la société. Nous n’avons pas beaucoup d’ouvrages où la manière de vivre des classes inférieures soient peint avec fidélité. Or, c’est chez ces classes-là que se font sentir les fluctuations dont j’ai parlé.
Les obstacles destructifs qui s’opposent à la population sont d’une nature très variée. Ils renferment toutes les causes qui tendent de quelque manière à abréger la durée naturelle de la vie humaine par le vice ou par le malheur. Ainsi on peut ranger sous ce chef toutes les occupations malsaines, les travaux rudes ou excessifs et qui exposent à l’inclémence des saisons, l’extrême pauvreté, la mauvaise nourriture des enfants, l’insalubrité des grandes villes, toutes les espèces de maladies et d’épidémies, la guerre, la peste, la famine. Pour les obstacles privatifs, l’abstinence du mariage, jointe à la chasteté, est ce que j’appelle contrainte morale.
Malthus, Essai sur le principe de population (Flammarion 1992, tome 1, page 75 à 84)
Ce que l’article du Larousse encyclopédique de 1931 appelle « néo-malthusianisme » n’est ni mauvais ni à mettre en concurrence avec ce que ce même article encyclopédique appelle « malthusianisme ».
Réguler sa natalité à soi par l’abstinence et réguler sa natalité à soi par la contraception sont deux méthodes qui se valent. Chaque personne doit pouvoir choisir.
L’article du Larousse encyclopédique de 1931 prenait soin de distinguer malthusianisme et néo-malthusianisme : « Le principe même de la doctrine de Malthus a reçu des applications pour une cause qui n’a plus rien à voir avec la raréfaction des ressources alimentaires. Cette cause est essentiellement égoïste et dérive surtout de la peur qu’a la femme des accidents de la grossesse et de l’accouchement, et l’homme des charges de famille. D’où dans les pays civilisés, une diminution de la natalité. Les médecins qui ont exagéré les risques de l’enfantement et ont, sans le vouloir, propagé l’usage des injections antiseptiques, des procédés abortifs, ont une part importante de responsabilité dans cet état de choses. Ce sont ces idées et ces moyens (mesures anticonceptionnelles, avortements provoqués, castration opératoire…) qui constituent ce qu’on appelle le néomalthusianisme car le malthusianisme de Malthus engageait seulement à la restriction volontaire par abstention. »
En ce qui concerne la contrainte morale, Malthus l’a définie ainsi : il s’agit d’une conduite chaste, avec recul volontaire du mariage jusqu’au moment où l’individu a une chance raisonnable de pouvoir entretenir tous les enfants nés de son union.
« Nous n’avons pas beaucoup d’ouvrages où la manière de vivre des classes inférieures soient peint avec fidélité. Or, c’est chez ces classes-là que se font sentir les fluctuations dont j’ai parlé. »
Wouarf wouarf wouarf…
Tout à fait monsieur Barthès. Et je précise que si nous cessons de considérer comme péché mortel la baisse des profits du grand patronat, nous pourront remettre en cause la fatalité et donc se contenter d’obstacles privatifs non-totalitaires.
Il est impératif que collectivement nous menions la désobéissance civile et une révolution qui soit communiste, écologiste et dénataliste. Il nous faut défoncer les immonde préjugés natalistes, croissancistes et anticommunistes!
Pour reprendre les idées et le langage de Malthus – décidément encore une fois visionnaire -, nous pourrions dire que pour n’avoir pas su privilégier les obstacles privatifs à sa multiplication, l’humanité se régulera par les obstacles destructifs. Les seconds seront évidemment beaucoup plus douloureux.
Comme je l’ai écrit souvent ici, voilà une excellent définition de notre échec.
Pour reprendre les idées et le langage de Malthus – décidément encore une fois visionnaire -, nous pourrions dire que pour n’avoir pas su privilégier les obstacles privatifs à sa multiplication, l’humanité se régulera par les obstacles destructifs. Les seconds seront évidemment beaucoup plus douloureux.
Comme je l’ai écrit souvent ici, voilà une excellent définition de notre échec.