effondrement, le risque agricole/alimentaire

L’agriculture est l’objet de spéculations diverses. Les collapsologues s’entendent sur l’idée que l’agriculture va devoir reprendre une place plus importante dans nos vies. Pour certains, on pourrait nourrir une ville comme Paris par l’agriculture urbaine avec des bacs d’ « incroyables comestibles » et en cultivant les parcs, ou alors il suffirait d’un potager en permaculture pour atteindre son autonomie alimentaire sans trop de difficultés. L’histoire de l’agriculture permet de faire ressortir quelques contraintes. Une première contrainte est la nécessité d’un régime alimentaire équilibré. Ainsi, si un maraîchage bio en permaculture peut aujourd’hui permettre sans trop de difficultés de fournir en fruits et légumes une famille avec un potager, il ne couvre qu’une part des besoins alimentaires. Le cœur de la plupart des systèmes agricoles de l’histoire est une association céréale/légumineuse/légume. Or, les néoruraux des années 1970 l’ont découvert souvent à leur dépend, la culture de céréales pour une alimentation complète est autrement difficile que faire pousser ces légumes, qui rappelons le sont faiblement caloriques. Une contrainte plus fondamentale est la nécessité de renouveler la fertilité des terres agricoles. En effet, la récolte extrait du sol des réserves des principaux éléments minéraux : azote (nitrates), phosphore (phosphates), potassium, mais aussi magnésium, fer, sodium… qu’il est nécessaire de fournir en retour au sol sous peine de l’épuiser en quelques années. L’épuisement des sols a eu lieu de nombreuses fois dans l’histoire. Parmi les formes les plus poussées, on peut citer la désertification produite par la salinisation liée à l’agriculture irriguée du « croissant fertile » aujourd’hui désert stérile, plus récemment la Dust Bowl des années 1930 aux États-Unis. Un tel phénomène a actuellement lieu dans de nombreuses régions du monde.

Au cours de l’histoire agricole, se sont succédés plusieurs systèmes permettant le renouvellement de l’humus. Dès l’antiquité, des engrais extérieurs ont pu être apportés aux sols : sédiments azotés enÉgypte, guano au Pérou… Jusque il y a moins d’un siècle en France, les gens se précipitaient pour récupérer le crottin des chevaux dans les rues : les rues parisienne étaient une source d’engrais prisée. Mais depuis le début du XXe siècle, l’usage d’engrais minéraux fossile ou de synthèse (azote produit par le procédé Haber-Bosch à partir de gaz) est devenu massif. Ils sont aujourd’hui devenus indispensables au maintien de la fertilité de sols utilisés de façon très intensive, et donc à notre agriculture. Or, les mines de phosphore et de potassium s’épuisent, de même que les hydrocarbures nécessaire à l’azote. De plus, dans un monde en effondrement, il deviendrait difficile de soutenir les vastes infrastructures qui permettent leur approvisionnement mondial. Le problème du renouvellement de la fertilité est encore aggravé par ce que Marx appelé la « rupture métabolique » : alors que dans les systèmes agricoles traditionnels les nutriments consommés étaient pour une grande part rejetés (sous forme d’excréments, de déchets de culture…) sur place, aujourd’hui ils sont massivement exportés vers des villes lointaines où ils sont perdus définitivement vers la mer ou pollués dans des boues d’épuration mélangées de pathogènes, de métaux lourds et de produits chimiques divers. La valorisation des résidus de culture (biocarburant, isolation, plastiques biosourcés) aggrave encore ce problème, car c’est autant de matière retirée à des sols qui s’épuisent. Il sera donc nécessaire de « boucler la boucle » de nouveau. On peut noter que l’agriculture « low tech » hautement productive développée dans l’Europe du XIXe siècle offrait des rendements élevés qui auraient pu nourrir une population aux deux tiers non agricole sans recourir ni aux engrais de synthèse, ni à la motorisation, ni à la chimie. En effet, l’association d’un système de culture sans jachère avec stabulation et d’une traction animale dotée de machines agricoles permettait des rendements élevés. Par exemple, la faucheuse à barre de coupe horizontale mues par les roues lorsque le cheval la tracte. Ces vieilles machines à traction animale ont connu le maximum de leur diffusion en 1955 avant d’être dépassée par l’essor du tracteur. Précisons que je restreins mon sujet à l’éclairage historique, mais qu’il serait possible de discuter de divers facteurs favorables (permaculture comme agriculture écologiquement rationnelle, amélioration des variétés et des connaissances agronomiques…) et défavorables (réchauffement climatique, mort biologiques des sols…) qui influeraient sur une agriculture lors d’un effondrement futur.

Revenons pour finir sur les conditions de vie du peuple, de la vaste majorité de la population au cours de l’histoire, hélas souvent moins connues que celles des élites. Prenons le siècle des Lumières, le règne du roi Soleil, l’apogée de la culture de cour et de la littérature classique : la population connaissait une vie rude, précaire, à la merci des maladies et des famines récurrentes, dans des maisons au sol de terre battue. L’alimentation, basée sur une tranche de pain sec trempée dans un potage d’herbes et de légumes de saison, parfois égayée, pour les plus riche, par un peu de gras de lard ou d’huile d’olive. Cette alimentation est souvent déséquilibrée : le manque de lipide et de graisse rend sujet au froid, le manque de vitamine au rachitisme, au scorbut et au pellagre. Un enfant sur deux meurt avant 10 ans. Lors des famines, certains vont jusqu’à faire du pain de fougère et on retrouve des moribonds qui se sont nourris d’herbes. Notons en passant que les conditions de vie des chasseurs cueilleurs qui ont représenté la grande majorité de l’histoire de l’humanité semblent souvent nettement meilleures que celle des pauvres des sociétés agricoles : vie plus longue, meilleur état de santé comme le révèle la paléoanthropologie, temps de travail faible et sociétés relativement égalitaires… Quelles que soient les reculs du confort consumériste (après l’effondrement), et tant qu’il y aura des survivants, il semble cependant que la vie continuera à valoir la peine d’être vécue.

Jean Autard, texte de septembre 2017 pour l’institut Momentum

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