NB : Ce texte de Michel Sourrouille est déjà paru le 6 avril 2024
sur le site de « La Maison commune de la décroissance »
https://ladecroissance.xyz/2024/04/06/peut-on-rester-objecteur-de-conscience-en-temps-de-guerre/
Voici la dernière phrase de ce texte : Aujourd’hui je reste objecteur de conscience, mais je suis aussi devenu objecteur de croissance, pour la décroissance du niveau de vie de tous ceux qui vivent à l’occidentale, pour la décroissance démographique dans tous les pays, et pour la décroissance des armées…
Peut-on rester objecteur de conscience en temps de guerre ?
Se déclarer objecteur de conscience est un droit fondamental. L’objection au service militaire repose sur l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction. En France, le statut légal de l’ « objecteur de conscience » a été créé en 1963 pour les jeunes se déclarant opposé à l’usage personnel des armes pour des motifs de conscience. Cela faisait suite aux oppositions à la guerre d’Algérie. J’ai obtenu ce statut en novembre 1971. Le jugement d’Albert Einstein me semblait aller dans le bon sens :
« La pire des institutions grégaires se nomme l’armée. Si un homme peut éprouver quelque plaisir à défiler en rang au son d’une musique, il ne mérite pas un cerveau humain puisqu’une moelle épinière le satisfait. Je hais violemment l’héroïsme sur ordre, la violence gratuite et le nationalisme débile. Je soutiens que le moyen violent du refus du service militaire reste le meilleur moyen. »
Je croyais naïvement à l’époque que j’étais à l’avant-garde d’un mouvement pacifiste qui allait nous transformer en cosmopolites de tous les pays : fini les guerres tribales entre nations artificiellement institutionnalisées. La fin de la guerre froide allait permettre un désarmement assumé internationalement. A mon grand étonnement les puissances nucléaires ont continué à faire comme si de rien n’était et l’ordre international n’a jamais été assuré par l’ONU. En 1947, le Japon introduisait dans sa Constitution un article par lequel il « renonce pour toujours à la guerre en tant que droit souverain de l’État et à la menace ou l’emploi de la force comme instrument pour résoudre les conflits internationaux ». Mais les « forces d’autodéfense », institutionnalisée en 1954, sont peu à peu devenues une armée à part entière. Adoptée en 1949, le préambule de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne stipule que le « peuple allemand » est « animé de la volonté de servir la paix du monde ». Mais le chancelier Olaf Scholz a affirmé, en juin 2022, que la hausse des dépenses militaires allait conduire l’Allemagne à avoir « la plus grande armée conventionnelle d’Europe ». Car aujourd’hui, depuis février 2022, il y a cette guerre absurde de Poutine en Ukraine qui entraîne un réarmement international.
Les pacifistes ont désormais mauvaise presse, ils sont accusés d’être des bisounours inconscients des réalités d’un monde militarisée et violent. Pire, ils sont devenus inaudibles. La Suède vient de rejoindre en mars 2024 l’Alliance atlantique et se remilitarise à marche forcée. Le gouvernement a même supprimé les aides aux organisations œuvrant pour la paix et le désarmement. En France le président Macron pouvait dire le 14 mars 2024 : « La guerre est à nos portes, il y a entre Strasbourg et Lviv moins de 1 500 kilomètres. Nous devons donc être prêts sans rien exclure, pas même le déploiement de militaires français sur le territoire ukrainien. » La guerre de Poutine fait peur. Donc on ne valorise que le principe « si tu veux la paix, prépare la guerre » sans aucune considération du principe alternatif « si tu veux la paix, prépare la paix. » Depuis la colonne de tanks russe vers Kiev, il n’y a plus de place pour la complexité, on se comporte comme si l’Allemagne, la Suède, la France… avaient été attaqués et qu’aucune divergence d’opinion ne pouvait être tolérée.
Alors, faut-il rester objecteur de conscience malgré une opération spéciale lancée par Poutine qui a tourné à la guerre de tranchées ? II serait dangereux de se laisser aller à un antimilitarisme sommaire : un peuple a le droit et le devoir de se défendre contre une agression extérieure. Il ne suffit pas de dire comme John F Kennedy : « La guerre existera jusqu’au jour lointain où l’objecteur de conscience jouira de la même réputation et du même prestige que ceux du guerrier aujourd’hui. » Restons pragmatique. Selon les militaires férus de stratégie rétroactive, les Alliés auraient du réagir très vite, dès que furent connus les préparatifs guerriers du Kremlin. Si les membres éminents de l’OTAN avaient décidé de déployer aussitôt des armes nucléaires tactiques sur le territoire ukrainien, cette démonstration aurait calmé les ardeurs belliqueuses du maître du Kremlin en l’empêchant de foncer vers Kiev. En conséquence quelques dizaines de milliers d’Ukrainiens et de Russes seraient encore en vie. C’est là une illustration du principe « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Un principe inopérant. La preuve, le jour de Noël 2023 la Biélorussie avait fini d’installer dans ses arsenaux les armes nucléaires promises par Poutine en mars 2023. Le dictateur de ce pays, Alexandre Loukachenko, s’est empressé de déclarer : « Tout est à sa place, prêt à être utilisé. » L’hiver nucléaire est toujours une possibilité. L’histoire des conflits armés montrent que les belligérants font tant qu’ils le peuvent preuve de surenchère, y compris aux prix de millions de morts.
A mon avis le principe le plus fiable reste donc celui des non violents : « Si tu veux la paix, prépare la paix. » Si les Ukrainiens avaient laissé les chars russes arriver à Kiev sans intervenir, un gouvernement pro-Poutine aurait été mis en place, mais il n’y aurait eu aucun mort. Certes une dictature peut perdurer, mais cela ne dure que si les citoyens font preuve de soumission volontaire. Aucune dictature n’est éternelle, d’autant plus qu’elle repose le plus souvent sur une seule personne. Hitler, Staline ou Poutine n’ont que leur temps, ils ne maîtrisent pas l’avenir. Le problème n’est donc pas l’absence temporaire de démocratie réelle dans un pays, mais l’inertie des peuples. Combien de Navalny en Russie ? Les militaires ont le pouvoir parce qu’ils sont institutionnalisés, ce sont les citoyens qui payent des impôts pour les équiper et les nourrir. On pourrait refuser de payer les impôts qui vont au budget militaire. Une population d’objecteurs de conscience ne se laisserait pas faire, elle aurait la capacité de résister à toute situation imposée à mauvais escient. Une armée composée d’individus qui déterminent par eux-mêmes pour quoi et pour qui il faut se battre ne pourrait être utilisée par aucun pouvoir politique. Un pays œuvrant pour la paix et non pour la guerre n’aurait pas besoin d’armée. Avec des citoyens profondément objecteurs de conscience, nous n’aurions pas en France suivi les fantasmes de gloire de Napoléon, nous ne serions jamais intervenus militairement en Indochine ou en Algérie, nous n’aurions pas envoyé des supplétifs en Afghanistan ou en Côte d’Ivoire, ni des avions sur la Libye, ni intervenus au Mali. La France aurait été un pays déterminant au niveau international pour éliminer toutes les armées et construire une paix durable.
La non violence intégrale de René Dumont, né en 1904 et premier des candidats écologistes à la présidentielle de 1974, est pour moi une référence incontournable. Le pacifisme constituait son seul dogmatisme. En toutes circonstances, il est contre les guerres, y compris dans des cas limites comme la guerre contre l’Allemagne nazie ou quand un ses chers peuples du tiers-monde se soulève. Nazisme ou pas, la guerre lui apparaissait comme l’ennemie numéro un. Il s’abstiendra complètement pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lui, le militant antifasciste, se retire dès qu’il faut prendre une arme, même pour son camp. Quelle que soit sa « compréhension » des révoltes, l’agronome en appelle systématiquement à des stratégies non-violentes à la Gandhi. Il signe à tour de bras les manifestes pacifistes et anticolonialistes, comme celui des 121 contre la guerre d’Algérie en 1960. Faire la moindre concession à la guerre revient pour lui à encourager son développement. « La guerre est un crime organisé, les militaires en sont les ordonnateurs et les bras. » Ses diatribes montrent la force de ses convictions :
« Les militaires sont la plus grande source de gaspillage, ils gaspillent du travail, de l’espace, de l’énergie, des minéraux rares, ils polluent les airs et les eaux… Il en coûterait cinq fois moins pour protéger la planète que pour continuer à préparer sa destruction… Réduction des dépenses d’armement jusqu’à leur intégralité. »
Lors de son enterrement le 19 juin 2001, la dernière volonté de René Dumont consista à faire entendre « Le Déserteur » chanté par Boris Vian. J’aimerais que son message de refus des armées puisse être entendu par les écologistes du monde entier, et par tous les citoyens, qu’ils soient Français, Russes, Ukrainiens…
Je précise quand même ma pensée profonde. Je reste opposé à l’usage des armes, mais au niveau collectif seulement. Personnellement je veux conserver mon droit individuel à me défendre arme contre arme ; l’État ne peut m’imposer le sacrifice de ma vie en toutes circonstances, ou un cambrioleur menacer ma famille. Mon commentaire à destination du monde.fr à propos de la guerre en Ukraine a été censuré plusieurs fois par la « modération » du journal. Pourtant mon point de vue me paraît justifié et publiable :
«Bien qu’objecteur de conscience, si je vivais dans l’Allemagne nazie, j’essaierai de tuer Hitler. Si je vivais en Russie… Le refus de l’usage collectif des armes n’empêche par le réalisme : depuis La Boétie en l’an 1576, on sait que le pouvoir des dictateurs ne résulte que de la servitude volontaire des dirigés. Si les apprentis tyrans savaient qu’ils sont à la merci de n’importe lequel de leurs soutiens, ils feraient en sorte de modérer leur décision et l’idée d’envahir l’Ukraine ne leur effleurerait même pas l’esprit. »
Aujourd’hui je reste objecteur de conscience, mais je suis aussi devenu objecteur de croissance, pour la décroissance du niveau de vie de tous ceux qui vivent à l’occidentale, pour la décroissance démographique dans tous les pays, et pour la décroissance des armées…
Michel Sourrouille
Existe-il une guerre juste ?
Nous n’en connaissons pas depuis que homo sapiens existe, à peu près 300 000 ans.
Le pacifisme est-il un extrémisme ?
C’est plutôt un attitude radicale, qui prend les choses à la racine et ne fait pas de mal.
Objecteur de conscience en temps de guerre, est-ce possible ?
C’est la seule attitude qui vaille et ça évite bien des morts à part ceux qui sont fusillés pour ne pas la faire, cette guerre.
Des chars russes arriver à Kiev sans rencontrer de résistance, valable ?
Oui, à condition que la population envahie sache pratiquer la défense civile non violente…
1) « Les pacifistes absolus refusent à la guerre toute valeur (Kant), tandis que les pacifistes modérés admettent la guerre défensive, en dernier recours. […] la guerre à la guerre, de manière défensive, peut-elle être légitimement considérée comme morale ? La plupart des philosophes réalistes répondent oui. »
( LA GUERRE EN PHILOSOPHIE – DÉFINITIONS ET CITATIONS – la-philosophie.com )
2) Sans parler de celui des Bisounours, quel pacifisme ? Celui de Kant ou celui des modérés ? Pour Kant le mensonge est toujours immoral, ne pas mentir relève d’un «impératif catégorique». Poussé à l’extrême, et par exemple, si un SS vous demande où se cache un juif, et que vous le savez… sans hésiter vous devez le lui dire.
( D’un prétendu droit de mentir par humanité – Kant 1797 )
3) Bien sûr que c’est possible. Comme ce que je viens de dire plus haut.
4) Oui mais… ça nous fait là une sacrée condition. Un grand et un drôle de «si» !
En attendant, que ce soit ici ou là,. combien de civils, désarmés, n’offrant aucune résistance, ne représentant aucune menace, ont été sauvagement assassinés par leurs envahisseurs ?
Petite question : Vouloir tuer Hitler, ou Poutine, avec des «si» bien sûr… vouloir conserver le droit de se défendre arme contre arme… c’est quoi exactement comme genre de pacifisme ?
Michel C., copiez cent fois cette phrase de Gandhi :
« N’importe quelle question peut être examinée de sept points de vue au moins, tous exacts en soi, mais non dans le même temps ni dans les mêmes circonstances. »
Seule la réflexion, avec le temps, peut faire évoluer un point de vue. Une simple idée reçue, avec le temps devenue croyance… pourra ainsi être remise en question. Se transformer en doute, ce qui est déjà pas mal pour bon nombre de questions. Et peut-être mener à une conviction, sur laquelle le penseur (le citoyen, digne de ce nom) pourra s’appuyer pour agir (voter par exemple). Et continuer à réfléchir plus loin, pour continuer à avancer (et pas reculer) participant ainsi à la progression de la fameuse intelligence collective si chère à ce blog. C’est ainsi que Michel Sourrouille devient pacifiste («Ma réflexion s’affine, je deviens pacifiste»). Et qu’en juin 1970 il adhère à l’idée de John F Kennedy :
– « Si chacun de nous était objecteur, refusant l’usage collectif des armes, il n’y aurait plus d’armée institutionnalisée, il n’y aurait plus de guerres généralisées. » (Objecteur de conscience je suis, je serai).
( à suivre )
Et puis qu’en avril 2024 il en arrive à écrire :
– « Je croyais naïvement à l’époque que j’étais à l’avant-garde d’un mouvement pacifiste […] Il ne suffit pas de dire comme John F Kennedy : « La guerre existera jusqu’au jour lointain où l’objecteur de conscience jouira de la même réputation et du même prestige que ceux du guerrier aujourd’hui. » Restons pragmatique. »
Je me méfie du pragmatisme, mais bon. Michel Sourrouille tient aujourd’hui un discours légèrement diffèrent. Très bien. Cependant il reste pacifiste. Très bien. Seulement j’ai l’impression que son pacifisme l’embrouille un peu :
– « A mon avis le principe le plus fiable reste donc celui des non violents […]
Si les Ukrainiens avaient laissé les chars russes arriver à Kiev sans intervenir, un gouvernement pro-Poutine aurait été mis en place, mais il n’y aurait eu aucun mort. Certes une dictature peut perdurer, mais [etc.]. »
( à suivre )
(et fin)
Comme ce n’est là que son avis (point de vue), il peut encore évoluer. Aujourd’hui Michel Sourrouille voit que la réponse à la question qu’il pose (titre) est loin d’être évidente. La réponse à cette question ne peut que découler de celle à cette autre (très ancienne), « Existe-il une guerre juste ? »
Quoi qu’il en soit, refaire l’Histoire avec des «si» ne nous avance à rien. Mis à part Madame Irma… qui peut dire ce qui se serait passé si les Ukrainiens n’avaient pas résisté ? Si… l’OTAN avait décidé de déployer aussitôt des armes nucléaires tactiques sur le territoire ukrainien (sic). Si… Poutine était moins fou. Si… le petit caporal Hitler s’était fait tué à la Grande Guerre… Si… les Ricains n’étaient pas là… etc. etc.
Rester objecteur de conscience en temps de guerre c’est juste un pari.
Seulement un pari risqué !
Le refus de la guerre est évidemment une position qu’on ne peut que partager, mais certains arguments me semblent difficiles à soutenir par exemple celui-ci
« Il en coûterait cinq fois moins pour protéger la planète que pour continuer à préparer sa destruction… »
Non ça ne coûterait pas 5 fois moins, ça coûterait 1000 fois plus car cela supposerait en réalité de mettra à bas toute l’économie croissanciste et artificialisante.
D’autre part, certains pacifistes donnent des verges pour se faire battre, ainsi je reçois aujourd’hui un mail d’un mouvement décroissant, validant tout simplement le comportement de Poutine et lui trouvant toutes les excuses du monde. Alors évidemment il ne faut pas s’étonner après que certains aient mauvaise presse. Poutine fait exactement ce qu’à fait Hitler juste avant la seconde guerre mondiale et certains veulent l’accepter. Non !
Là je suis d’accord avec vous. Le problème (avec ou sans « ») du pacifisme c’est que poussé à l’extrême il peut devenir dangereux.
Comme tous les extrémistes (radicalismes, dogmatismes) me direz-vous, l’enfer est pavé de bonnes intentions, etc.