Certains popularisent aujourd’hui le concept de revenu de base inconditionnel, versé à tout citoyen, qu’il travaille ou non. Ainsi un rapport à la ministre du travail suggère en France de créer un « revenu d’existence »*. André Gorz avait combattu cette idée, en voici un exemple dans une parution récente, « Le fil rouge de l’écologie »**
(page 72 et 73)
question à Alain Gorz : En opposition au concept de revenu de base universel, tu as lié le droit des citoyens à un revenu au devoir de fournir une certaine quantité de travail socialement nécessaire. Ce devoir de travailler t’a attiré le reproche de renouveler l’idéologie du travail.
André Gorz : Cette question de la quantité nécessaire de travail productif est toujours abordé comme si les gens n’avaient pas été obligés jusqu’à présent de fournir du travail pour leur subsistance, pour avoir un revenu…. La perpétuation de l’idéologie du travail se trouve plutôt chez les partisans du revenu de base (inconditionnel) : ils pensent qu’il se trouvera toujours des gens volontaires pour se former, être actifs professionnellement et assurer les travaux ingrats parce que ça leur fait envie ou plaisir. La société continuerait à se diviser en une classe vouée au travail, par conviction ou par stupidité (puisqu’on pourrait vivre très bien sans travailler), et une autre qui préférera vivre en chômant avec un revenu de base… De toute façon un revenu de base ne peut être accordé que par un Etat. Son instauration augmente le pouvoir d’Etat face à l’individu et poursuit le déclin de la sociabilité. Tu ne prends part à la société et tu ne garantis ton égalité avec autrui que si tu fais quelque chose qui soit reconnu socialement utile ou sensé. Et aucune société ne peut subsister sans fournir du travail. Si tu exiges que les autres portent le poids de la nécessité à ta place, tu t’exclus toi-même de la société, tu deviens quelqu’un dont les autres n’ont pas besoin. Si tu veux avoir un droit sur la production des autres, tu dois agir comme l’un deux en leur reconnaissant un droit sur ton propre travail. Ce sont de simples réflexions de théorie du droit, qui n’empêchent pas de considérer cette société comme une société de merde qu’il convient de réorganiser radicalement.
(page 97, 98)
André Gorz : J’ai commencé il y a vingt ans à développer l’idée selon laquelle nous devons garantir à tous un revenu continu pour un travail discontinu. Il y aurait des périodes où l’on ferait des choses qui n’ont pas de valeur marchande. Ce serait la base d’une société de multiactivité. Je compare le travailleur postfordiste à un musicien dont le travail directement mesurable suppose un travail invisible de développement de soi. Ne payer que le temps de travail immédiat est une absurdité. Le capital prétend s’approprier gratuitement des capacités et des savoirs que les personnes développent en dehors de leur temps de travail.
(page 58)
André Gorz : La transformation de tout travail rémunéré nécessaire en activité choisie ne semble pas un but atteignable dans les société complexes comme la nôtre. Car pour réaliser ce but, il faudrait mettre de côté les rapports marchands comme dans les kibboutzim ou dans le communisme. Or il n’est pas possible d’abroger ces rapports dans les sociétés complexes du fait de la spécialisation et de la division spatiale du travail. Une telle abrogation n’est possible que dans les communautés villageoises, les communautés autarciques. Aucune ville ne peut produire seule ce dont elle a besoin. Mais le retour à l’économie villageoise suppose l’effondrement total de notre civilisation.
* LE MONDE du 7 janvier 2016, Des mesures pour encadrer l’économie numérique
** Le fil rouge de l’écologie (entretien avec André Gorz) éditions EHESS 2015, 114 pages pour 9 euros