Le tyran de la Guinée, Lansana Conté, est mort de mort naturelle (nécrologie du Monde, 25 décembre). Pourquoi donc a-t-il pu rester tant de temps au pouvoir, 24 longues années? La réponse avait déjà été formulée clairement dès 1576. C’est l’ami de Montaigne, Etienne de La Boétie, qui analysait les bases de notre esclavage dans son essai sur La servitude volontaire :
« Comment il peut se faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a de pouvoir de leur nuire sinon tant qu’ils ont vouloir de l’endurer, qui ne saurait leur faire mal aucun sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que le contredire (…) Plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur donne, plus on les sert, de tant plus ils se fortifient et deviennent toujours plus forts. Si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, ils demeurent nus et défaits, et ne sont rien, sinon que, comme la racine n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte ».
Lansana Conté a succédé à un régime policier honni, celui de Sékou Touré, pour mettre en place le même système d’oppression. Les derniers temps de Lansana Conté, il ne se passait pas une semaine sans que la répression ne fasse au moins une victime dans la plus totale impunité. Même quand il était mourant, personne n’osait le contester et encore moins prendre le pouvoir. Toujours les effets de la servitude volontaire. Même le verdict des urnes renforce habituellement le tyran. Là encore La Boétie nous trace parfaitement ce qu’on appelle aujourd’hui la société du spectacle : « A la vérité, c’est le naturel du menu peuple d’être soupçonneux à l’endroit de celui qui l’aime, et naïf envers celui qui le trompe. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les médailles et autres choses de peu, c’étaient les appâts de la servitude, les outils de la tyrannie ».
Un seul remède quand tout un peuple pratique assidûment la soumission volontaire, l’action solitaire de qui n’accepte pas l’exploitation/aliénation des individus. La Boétie nous donne quelques exemples historiques : « Qui voudra bien passer en revue les faits du temps passé, il s’en trouvera peu de ceux qui, voyant leur pays malmené et en mauvaises mains, aient entrepris, d’une intention bonne et entière, de le délivrer. Harmodios, Aristogiton, Thrasybule, Brutus le Vieux, Valérius et Dion, comme ils l’ont vertueusement pensé, l’exécutèrent heureusement ». (ndlr : tous ces personnages ont chassé ou tué le tyran qui oppressait la cité).
Staline est mort seul dans sa chambre, personne n’osant aller voir ce qu’il en advenait du petit père des peuples. Hitler est passé à côté de quelques attentats, mais cela aurait pu aussi bien réussir. Si les dictateurs en herbe savaient qu’ils ne peuvent compter sur personne car quiconque peut abréger à tout moment le temps de leur forfaiture, il n’y aurait plus de dictature. Les citoyens ne lisent pas assez le petit texte d’Etienne de La Boétie.