Technologos : résistons à la démesure technicienne

Les prochains ateliers d’été de Technologos se dérouleront les 17-19 juillet à Notre-Dame-des-Landes sur le thème de l’État. Quel est le rapport entre l’idéologie technicienne et l’État et pourquoi organiser là-bas ces rencontres ? Au fil du temps, l’État s’est transformé en une « machine » gigantesque et complexe, dotée d’une multiplicité de services interconnectés et recourant à une multiplicité de techniques organisationnelles et de propagande. Une majorité d’humains attendent de lui toutes sortes de solutions à leurs problèmes, tant en matière de santé, d’enseignement et d’économie que dans les domaines des transports ou de la recherche scientifique : l’État joue très exactement le rôle que jouait la providence avant que nos sociétés ne se sécularisent. Au détriment de la démocratie – mais avec pourtant l’assentiment général – une myriade d’experts et de conseillers techniques prennent l’État en main, le considérant comme une « affaire à gérer ». Les « chefs » d’État, dont les médias entretiennent l’image de leaders prenant des décisions réfléchies et efficaces et maîtrisant tous les circuits, sont en réalité dépassés. Non pas parce que l’État est devenu technocratique, comme on l’entend parfois dire, mais parce que la société toute entière est technicienne (… et non post-industrielle, terme qui ne veut strictement rien dire). Dans ce contexte, « l’impuissance de l’homme politique est voilée par la puissance et l’efficacité des moyens d’action qui interviennent toujours plus profondément dans la vie quotidienne. Fût-il dictateur, il n’en a finalement aucune maîtrise. Réciproquement paraît l’illusion du citoyen qui, vivant encore sur l’idéologie de la souveraineté populaire et des constitutions démocratiques, croit pouvoir contrôler et orienter le cours des choses » (Ellul, L’illusion politique, 1965).

Tout au long du XXe siècle, la plupart des intellectuels se sont polarisés sur l’antagonisme entre le capitalisme et le communisme, sans réaliser que ces deux systèmes s’appuyaient sur une même base, le productivisme, lui-même boosté par l’idéal du progrès technique et validé par les États, quelle que soit leur coloration politique. Aujourd’hui encore, qui est prêt à reconnaître que le communisme n’a été qu’un capitalisme d’État ? Et qui veut bien admettre, y compris dans les sphères militantes, que le capitalisme (au sens usuel du terme) ne serait rien, ou bien peu de chose, sans, d’une part la fascination exercée par la high tech et les grands groupes qui la génèrent (Apple, Google, Facebook, etc…); sans d’autre part le pouvoir de légitimation de ces sociétés par l’État ? La synergie entre Technique et État a beau être considérable et déterminante, ses fondements ne sont pour ainsi dire jamais analysés. Les esprits keynésiens, qui voient dans l’État une voie de régulation du capitalisme, et même les militants anti-capitalistes peuvent-ils saisir un jour que le capitalisme n’est pas tant le problème que le « mariage sacré » État-Technique, qui le stimule toujours plus ? C’est tout l’effort que nous déployons dans notre association. Faut-il pour autant diaboliser l’État et vouloir le dissoudre, comme bon nombre d’ultra-libéraux et d’anarchistes, chacun de leurs côtés, en rêvent ? C’est en revanche un pas que nous ne voulons pas franchir, tant les problèmes nous semblent beaucoup trop ancrés dans les consciences pour pouvoir rechercher dans l’immédiat des solutions en termes institutionnels.

Quoi qu’il en soit, ces questions ne peuvent trouver de réponses solides que dès lors qu’est reconnu un fait majeur : les chefs d’État reçoivent dans leurs palais les magnats de la high tech et mettent en place avec eux toutes sortes de « grands projets » pour la raison que, comme tant d’autres, ils sont subjugués par les technologies, inféodés à l’idéologie technicienne et totalement inconscients de l’être. Au final, les consortiums États-entreprises s’avèrent extrêmement onéreux (constituant l’une des causes majeures de la dette publique), contre-productifs, voire inutiles et parfois même ultra-dangereux et nuisibles, comme l’ont démontré les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Dans l’immédiat, bien peu semblent prêts à tirer les enseignements ultimes de ces tragédies, tant l’idéologie technicienne anesthésie les esprits. Dans notre association, nous œuvrons pour que celle-ci soit enfin reconnue comme telle, condition indispensable pour qu’elle soit un jour jugulée.

Le projet d’aéroport international du Grand Ouest étant actuellement le plus médiatisé de ces « grands travaux imposés et inutiles » en raison de la résistance citoyenne qu’il suscite, il était naturel que Technologos soit invité un jour dans la ZAD. Chacun peut s’y inscrire mais, attention ! les places sont limitées et les inscriptions closes au 7 juillet.
Résister à la démesure technicienne par les idées et par les actes
ateliers d’été de Technologos
17-19 juillet 2015, Université autonome autogérée du Haut-Fay
Programme détaillé et inscriptions :
http://www.technologos.fr/textes/ateliers_d_ete_2015.php

NB : Fondée en 2012, Technologos est une association militante dont l’objectif est d’organiser un vaste débat public sur la place que prend la technique dans nos quotidiens. Autrefois – et pendant des siècles – simple prolongement du corps, la technique a progressivement changé de statut : elle qui n’était qu’un ensemble de moyens permettant de parvenir à des fins constitue désormais une finalité à part entière, une promesse de bonheur, une idéologie en bonne et due forme. De fait, tout laisse à penser qu’elle représente « la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace », pour reprendre la célèbre formule de Jacques Ellul. Or, malgré les technoprophéties des transhumanistes, cette idéologie s’exprime rarement au travers de textes manifestes, comme c’était par exemple le cas au XIXème siècle avec le scientisme : elle est subliminale, fortement ancrée dans l’inconscient collectif.
La plupart des humains considèrent en effet les techniques comme « neutres », « ni bonnes ni mauvaises », et s’évertuent à croire que « tout dépend de l’usage que l’on en fait ». Comme s’il suffisait de ne pas utiliser Internet pour se mettre à l’abri d’ondes hi-fi ! Le « progrès technique » constitue aujourd’hui l’horizon d’attente de l’humanité : nos congénères, dans leur immense majorité, se départissent de tout sens critique à son égard au point que plus les technologies envahissent leurs vies, et même leurs corps, plus ils s’y conforment servilement et en réclament de nouvelles. Cette addiction généralisée est la marque d’une aliénation d’un type totalement nouveau, qui est parfois ressentie comme telle mais n’est jamais vraiment analysée comme il se devrait : une pandémie mentale.