L’écroulement du pont Morandi, à Gênes, mardi 14 août 2018, pose le problème de la « bétonisation » du monde. Aujourd’hui dans LEMONDE**, l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz s’interroge sur la pérennité du béton : « Le béton est, en masse, le matériau le plus abondant fabriqué par l’humanité, loin devant l’acier. 60 milliards de tonnes de ciment ont été produites depuis 1945 dans le monde, ciment qui aura permis de couler au moins 500 milliards de tonnes de béton (mélange de sable, de gravier et de ciment). Le plus spectaculaire reste la bétonisation de la Chine. En masse, la Chine produit actuellement environ 2 milliards de tonnes de ciment par an, soit vingt fois plus que les Etats-Unis à leur pic de production. Autrement dit, en à peine trois ans, la Chine a coulé plus de béton que les Etats-Unis pendant tout le XXe siècle ! Mais le béton, contrairement à l’expression proverbiale, n’est pas un matériau inaltérable, loin s’en faut. Les vibrations, les contraintes qu’il subit, le gel, les altération de l’armature le fragilisent en permanence. La durée de vie d’une infrastructure en béton varie suivant la qualité de l’ouvrage, mais tourne, selon les experts, autour de soixante ans. Cela signifie que beaucoup d’infrastructures construites dans les années 1950-1970 en Europe et aux Etats-Unis – routes, tunnels, ponts, barrages et… centrales nucléaires – atteignent leur fin de vie ou nécessitent des travaux considérables. En France, les investissements d’entretien représentent 70 % des investissements routiers. L’Etat dépense 80 000 euros par an pour chaque kilomètre de route nationale.Si l’on extrapole à partir de ces chiffres sur le cas chinois, ce sont des dizaines et des dizaines de milliers de milliards de dollars que la Chine devra débourser pour maintenir en état les montagnes de béton qu’elle a coulées ces dernières décennies. L’effondrement du viaduc de Gênes nous confronte soudain à la réalité de notre monde technique : un monde de béton sur lequel techniciens et ouvriers doivent travailler sans relâche pour éviter qu’il ne s’écroule. »
Bien entendu on peut toujours contester les chiffres. Selon Swisslife, la structure (béton ou briques), qui constitue le «squelette» du bâtiment, doit être restaurée au bout de 70 à 100 ans. D’autres experts se refusent à dater la durabilité du béton tant ce matériau leur paraît éternel. On fait référence au béton des anciens romains, leurs ponts sont presque toujours en bon état. Dans un livre de 2012 Jean-Baptiste Fressoz constate qu’après les catastrophes, il faut des discours et des dispositions morales qui les neutralisent, atténuent leur dimension éthique pour les rendre compatibles avec la continuation du projet technologique** : « Les normes de sécurité, les consultations publiques, les procédures d’autorisation qui prétendaient connaître et contenir le risque eurent généralement pour conséquence de légitimer le fait accompli technologique. »
En fait, 60 ans ou 100 ans pour une infrastructure, ce n’est rien si on peut réparer et consolider. Or le problème de la société thermo-industrielle, c’est qu’elle construit à tout va des buildings gigantesques ou des ponts démesurés dont l’entretien demandera de l’énergie, beaucoup d’énergie fossile ; dans 60 ans ou 100 ans, c’est cela qui manquera le plus. Le plus inquiétant, c’est que nous bâtissons, que ce soit au sens propre ou figuré, sur du sable. Les tours de New York et ailleurs a reconstruire tous les 200 ans, peut-être, mais avec quel sable ? Comme il faut deux tiers de sable et de graviers et un tiers de ciment pour produire du béton, ce granulat est devenu la deuxième ressource naturelle la plus consommée sur la planète, après l’eau et devant le pétrole. Chaque année, au moins 15 milliards de tonnes seraient ainsi récoltées dans le monde – ramassées à la pelle, aspirées dans la mer par des bateaux-dragueurs ou extraites de carrières –, au point de menacer certaines plages de disparition. Sans vouloir être trop alarmiste, la situation devient catastrophique. Si nous devions revenir aux techniques constructives en vigueur à l’époque romaine (pierres extraites à la pelle et à la pioche, transportés par barges, montées par poulies à la force des bras), les ponts et logements demanderaient 30 à 1000 fois plus de temps pour être construits, et surtout coûteraient tellement cher qu’il s’en construirait 50 à 100 fois moins dans l’année.
* LE MONDE éco du 29 août 2018, Gênes ou la réalité d’un monde de béton
** Jean-Baptiste Fressoz, l’apocalypse joyeuse, aux éditions du Seuil (février 2012)
Avant le sable et le gravier, je crois plutôt que c’est le pétrole qui viendra à manquer. Et là, si nous voulons toujours du béton, il faudra le faire à l’ancienne. Parce que je ne crois pas une seconde à la poudre de perlimpinpin pour faire tourner les bétonnières, aux miracles de la techno-science et autres fariboles.
Le juste nécessaire … nous dit JPR. Mais c’est quoi le juste nécessaire ?
Le problème va vite se régler, quand il n’y aura plus de sable, et tant pis pour les générations futures…
https://lejustenecessaire.wordpress.com/
Les politiques ne voient que l’aspect travail et économie, alors qu’il faudrait voir le besoin et le juste nécessaire.