Un précurseur de l’économie écologique, B de Jouvenel

Pour devenir un économiste écologique, il faut d’abord se référer à « Arcadie, essai sur le mieux vivre » de Bertrand de Jouvenel (1968). Voici quelques extraits de son livre repris par « La pensée écologique, une anthologie » (Puf 2014, 880 pages, 30 euros)

 p.202 « Si la limitation de la science économique est la condition de sa rigueur, chercher à élargir son domaine n’est pas sans danger ; mais c’est inévitable puisque la croissance de notre pouvoir, l’évolution toujours plus rapide et les résultats de nos techniques exigent qu’on ait une science capable de donner des conseils pour l’action. Or la science économique est appelée à jouer ce rôle. Pour y parvenir, il faudrait que l’économie politique devienne l’écologie politique ; je veux dire que les flux retracés et mesurés par l’économiste doivent être reconnus comme dérivations entées sur les circuits de la Nature. Ceci est nécessaire puisque nous ne pouvons plus considérer l’activité humaine comme une chétive agitation à la surface de la terre incapable d’affecter notre demeure. Comme notre pouvoir sur les facteurs naturels s’accroît, il devient prudent de les considérer comme un capital. En bref, l’économie est la zone de lumière qui s’étend entre les ressources naturelles sur lesquelles s’appuie notre existence (les biens gratuits) et le suprême épanouissement de notre nature (les services gratuits). »

 p.243 « Le fonctionnement des économies les plus avancées repose sur un rapport avec la Nature qui, dans son principe, est le même que celui de notre existence biologique. Aussi je souhaiterais que l’enseignement économique fût toujours situé dans le cadre de l’« écologie politique » ; on ferait remarquer aux enfants que, pour complexes que soient les opérations qui se passent dans notre corps (comparées au système économique, autrement dit aux opérations qui se passent entre hommes), elles ne sont possibles et n’ont de sens qu’à raison des rapports avec l’environnement, avec la Nature. Comme dans notre vie biologique nous arrachons nos aliments à la nature (animale et végétale), pour notre système économique nous arrachons les aliments – matières premières et combustibles – à la Nature (surtout minérale). Notre vie biologique enfin est productrice de déchets ; l’une des premières choses que l’on enseigne aux enfants est de disposer des déchets avec décence ; c’est ce que nos plus fières sociétés n’ont pas appris, et une maîtresse de maison ne voudrait pas de nous comme chats. Nos rapports avec la Nature changent tellement quant à leur volume qu’ils appellent un esprit de responsabilité que nous n’avons pas encore acquis et auquel nos manières de penser les plus modernes ne nous portent pas. Ainsi, en regard d’une vision qui nous représente l’homme comme créant un ordre qu’il souhaite, il en faut mettre une autre : il est source d’un désordre auquel il ne pense pas. «

 Autre extrait complémentaire: « Parce que la Comptabilité Nationale est fondée sur les transactions financières, elle compte pour rien la Nature à laquelle nous ne devons rien en fait de payement financier, mais à laquelle nous devons tout en fait de moyens d’existence. Le terme d’infrastructure est à présent populaire, il est bon d’avoir donné conscience que nos opérations dépendent d’une infrastructure de moyens de communication, transport, et distribution d’énergie. Mais cette infrastructure construite de main d’homme est elle-même superstructure relativement à l’infrastructure par nous trouvée, celle des ressources et circuits de la Nature. » (Arcadie, essai sur le mieux vivre de Bertrand de Jouvenel, 1968)

 Pour conclure :

 – Un bon économiste est d’abord un bon écologiste, sinon il ne reste qu’un économiste ;

 – Un écologiste en politique qui ne parle pas d’écologie est peut-être un politique, mais certainement pas un écolo ;

– Un écologiste que ne se réfère pas en premier à l’écologie n’est pas écologiste.