« Les partisans d’un revenu inconditionnel sont les parfaits agents du système, d’autant plus efficaces que persuadés en leur for intérieur d’être porteurs d’une proposition subversive.
En 2006, j’avais fondé avec Bruno Clémentin et Yves Scaviner le Parti pour la décroissance (PPLD). J’en ai trouvé le nom, dessiné le logo et rédigé les statuts. Nous nous sommes rapidement éloignés de cette structure pour ne pas faire de confusion avec le journal « La décroissance ». La revendication centrale du PPLD devint alors celle d’un salaire versé à vie par l’Etat, que l’on choisisse de travailler ou pas. Cette idée démagogique, surtout en pleine crise de la dette, est du pain béni pour les détracteurs de la décroissance qui présentent le mouvement comme une coalition d’irresponsables puérils. Il est d’ailleurs cocasse d’observer les individus les plus prompts à vouloir l’anéantissement d’un Etat « intrinsèquement totalitaire » réclamer son sein pour toute leur existence. Le père de la critique du libéralisme libertaire, Michel Clouscard, présentait ce type de revendication comme le produit de l’anthropologie capitaliste : vouloir consommer sans produire. Aucune société n’échappe au travail. Sous couverts de bons sentiments, les enfants du productivisme et du consumérisme fantasment de se transformer en néo-aristocrates menant une vie oisive en vampirisant la société. Jean-Claude Michéa s’en démarquera en précisant qu’une telle dotation « pouvait constituer une solution d’urgence dans un contexte de crise, mais certainement pas le fondement éthique d’une société socialiste ».
Cette idée de revenu inconditionnel consiste en fait à passer de la divinisation à la diabolisation du travail, soit les deux faces d’une même pièce. Rappelons cette banalité : le travail n’est pas qu’un revenu, il concourt aussi à la dignité et à l’épanouissement de la personne. Un métier, à différencier de l’emploi, est ce qui confère l’autonomie. »
Extraits de « Décroissance ou décadence » de Vincent Cheynet
(Editions le pas de côté, 192 pages, 12 euros)
Pour compléter, lire sur notre blog :
Je recommande également la lecture du texte de VuDesRuines cité dans le premier commentaire.
Je crois que ça aurait été une bonne idée si le monde se dirigeait vraiment et durablement vers une société hyper technologique où presque tout serait assuré par des machines, dans cette logique le travail ne serait plus garanti (ou encore bien moins qu’aujourd’hui) et il faudrait bien fournir un moyen de vie inconditionnel à la population.
Le problème est qu’on ne va plus avoir les moyens de financer pareil système. La bonne nouvelle est que le travail manuel pour tous pourrait bien assurer le plein emploi dans le futur.
Il est vrai que Cheynet a parfaitement raison sur la teneur du revenu inconditionnel de base à cela près qu’il différencie travail et emploi.
Le problème de la situation actuelle, c’est que quiconque souhaite s’éloigner de la société de « croissance » rencontre un mur puisque tout est devenu marchand. De l’eau du robinet, à la maison en kit. Du plat de pâtes, au meuble Ikéa. Vu que nous avons perdu notre autonomie première de savoir (et de pouvoir surtout) faire les choses par et pour nous même, nous sommes forcés de recourir au système marchand pour survivre. C’est la force même de ce système. Nous en sommes malheureusement totalement dépendant.
Pour subvenir à ses besoins de base, même en valorisant la « décroissance », nous ne pouvons nous passer d’argent, ce qui fait que l’on est prêt à accepter un emploi lambda, qui (comme la majorité des emplois de nos sociétés) va glorifier la société de croissance. Enlevons les emplois dédiés au « progrès », à la « croissance » de la consommation et de la production » et nous pouvons supprimer plus de 90 % des emplois. La glorification de l’emploi actuel n’est pas la solution puisqu’elle nous mène dans le mur. La valorisation du travail autonome devrait être la seule possibilité. Mais malheureusement, la marchandisation du monde a fait de nous des « salariés ».
Du coup, pour quiconque voudrait échapper à la société de croissance ne peut en réalité s’en extraire et doit continuer de « gagner de l’argent » pour se payer tout ce qui est désormais monnayable (même la base de la base). De là, naissent sûrement les réflexions autour du revenu inconditionnel que je perçois comme une possibilité d’échapper à l’emploi salarié (mais cela n’empêche pas le travail autonome).
Après, et je suis d’accord, le revenu inconditionnel est une hérésie vu qu’il permet simplement au système marchand de continuer à fonctionner même avec ceux qui ne le voudraient ou ne pourraient pas. La vraie question qui se pose; c’est comment redonner l’autonomie première à l’être humain. Celui du travail libérateur et non frustrant. Cela nécessiterait, en réalité, de faire exploser le cadre législatif et social de nos sociétés, voire de les faire disparaître tout court. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une mutation du système marchand sans effondrement de ce dernier.
Le revenu inconditionnel apparaît donc comme un voile, un cache misère pour une société qui ne veut pas se remettre en question et essaie d’englober même les plus réticents.
Pour une fois, je suis d’accord avec Cheynet.
Lire aussi, dans la même veine:
http://vudesruines.blogspot.fr/2013/11/lillusion-du-revenu-minimum-garanti.html