vivre en famille sans écrans

Petite brassée de chiffres, pour saisir l’ampleur du tsunami numérique. Un foyer avec des enfants de 6 à 11 ans possède en moyenne dix écrans, quel que soit son niveau social. La moitié des enfants de maternelle a la télévision près de son lit. 97 % des 6-17 ans jouent à des jeux vidéos au moins occasionnellement. 73 % des 12-17 ans posséder un téléphone portable. Parmi les 9-16 ans, 87 % accèdent à Internet. Tous ces équipements les conduisent à passer plus de trois heures chaque jour devant les écrans… soit autant que leurs parents devant la télévision. Il serait naïf de croire que tous ces écrans ne vont pas impacter la vie sociale. Récemment, une étude Académie de Paris/Assurance maladie a montré qu’un tiers des garçons parisiens (un quart de filles) de troisième se couchait après minuit la veille d’un jour de classe, du fait d’une « consommation abusive d’écrans »… Dès qu’il/elle rentre du collège, le/la voilà qui se plante devant son ordi, dans sa chambre, pour discuter sur MSN, alimenter son mur Facebook, rejoindre sa partie de jeu en multijoueurs. Il faut l’appeler dix fois pour dîner. Chacun dans sa bulle, on ne se parle plus.

Tous ces écrans déstabilisent la vie de famille. En novembre 2010, une note du Centre d’analyse stratégique pointait cette crispation : « De plus en plus de parents se plaignent que les jeux vidéo soient devenus des sources de tensions quotidiennes avec leurs enfants : négociations perpétuelles sur les temps de jeu, nervosité exacerbée des enfants ou encore problèmes de budget – dus aux coûts des logiciels et des supports, mais aussi aux divers achats proposés sur les jeux en ligne avec possibilité de payer par SMS (…) Quand bien même la discussion s’installe, il y a fort à parier qu’elle se focalise sur les points de tension plutôt que de prendre la forme d’un échange constructif. »  Le groupe familial est fractionné, réduit à une coexistence. A la fin des années 1980, sont apparues les chaînes de niche, et la tribalisation, chacun regardant la télé qui lui ressemble, ce qui a correspondu à l’éclatement des familles, et transformé le milieu familial en une suite de micropublics qui ne se parlent plus. Internet n’a fait qu’amplifier ce mouvement. Avec le réseau social (55 % des 11-13 ans ont un compte Facebook, 75 % des 13-17 ans), l’influence des pairs s’accroît, tandis que décline la transmission parentale. Sur Facebook, les amis les plus proches s’appellent d’ailleurs « famille ».

(LeMonde Magazine, 26 février 2011)