1798, MALTHUS contre les optimistes crédules

A l’époque de Malthus, fin du XVIII et début du XIXe siècle, l’optimisme est une pensée répandue dans les élites. On célèbre le siècle des Lumières (1715-1789), L’Encyclopédie et la révolution française. Le girondin Condorcet, après un décret d’arrestation à son encontre, se cache pendant neuf mois et écrit Esquisse d’un tableau historique du progrès de l’esprit humain. Arrêté, retrouvé mort dans sa cellule en mars 1794, son ouvrage fut publié l’année suivante. Dans ce texte qui faisait un raccourci de l’histoire humaine, il prévoyait l’amélioration continuelle de l’existence individuelle et collective, sur le plan matériel comme spirituel. Son terme ultime verrait l’abolition de toutes les inégalités, un langage universel, une espérance de vie prolongée sans limite assignable. La même année de l’autre côté de la Manche, le livre de William Godwin, Essai sur la justice politique et son influence sur la moralité et le bonheur, nous offre une description aussi idyllique : « Chaque homme recherchera, avec une ineffable ardeur, le bien de tous. » Godwin promettait un avenir lointain où il n’y aurait plus de guerre, ni de crime, ni de gouvernement. Voici ce qu’en pense Malthus : « L’ouvrage de Condorcet est un exemple remarquable de l’attachement qu’un homme peut vouer à des principes démentis par l’expérience de chaque jour (…) Godwin se repose avec trop de confiance sur des propositions abstraites et générales. »

Contre cet idéalisme, Malthus fait preuve de réalisme. Sa conception repose sur deux postulats : « Premièrement que la nourriture est nécessaire à l’homme. Secondement que la passion entre les sexes est nécessaire et se maintiendra, à peu de choses près, telle qu’elle existe maintenant. » Cette pression sexuelle est la source de la tendance à la progression géométrique de la population. Elle agit universellement, avec la même force, que ce soit il y a fort longtemps ou au XXIe siècle. C’est pourquoi il faut, selon Malthus, des obstacles à cette tendance à l’explosion démographique. Le taux de croissance démographique mondiale a certes diminué aujourd’hui, il est passé de 2 % dans les années 1960 (doublement tous les 35 ans) à un peu plus de 1 % (doublement tous les 70 ans). Mais c’est toujours une évolution exponentielle comme le décrivait ainsi Malthus en 1798 : « Portons à mille millions d’homme le nombre des habitants actuels de la Terre : la race humaine croîtrait selon les nombres, 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 » Une exponentielle est une évolution si rapide qu’il est souvent trop tard pour agir. Albert Jacquard faisait remarquer que, avec un taux d’accroissement de seulement 0,5 % par an, la population humaine, qui était d’environ 250 millions il y a  deux mille ans, serait de 5000 milliards aujourd’hui. De plus le calcul de l’empreinte écologique montre que l’on a dépassé dès 1960 les capacités de soutenabilité de la planète. Or à l’époque, la Terre ne comptait que 3 milliards d’habitants. Le fait de disposer d’une source d’énergie abondante et bon marché, le pétrole, a permis un bond prodigieux, faisant passer la population mondiale à plus de 7 milliards d’individus en 2017. La disparition de cette source non renouvelable nous condamnera peut-être à revenir à un chiffre de population compatible avec les capacités de charge de la planète, soit à peu près le chiffre de la population antérieur à l’industrialisation (1 milliard en 1860). Le point de vue de Malthus semble toujours valide ; l’humanité devrait impérativement maîtriser sa reproduction. Une société de décroissance ne pourra par évacuer la question d’un régime démographique soutenable. A travers les écrits de Malthus et de ses successeurs, il nous faut comprendre que la question de la surpopulation humaine est à l’origine du sens des limites qui progresse aujourd’hui dans les mentalités. Le problème, c’est que certains spécialistes n’en sont pas convaincus.

En France particulièrement, l’approche malthusienne se heurte à une idéologie nataliste. L’Institut national d’études démographiques (INED), créé en 1945, s’est sous des dehors scientifiques mis dès l’origine au service d’une telle propagande. Son fondateur, Alfred Sauvy, était partisan d’une répression rigoureuse de l’avortement dans un de ses écrits de 1943. Le congrès du parti communiste en 1956 le répète : « Le malthusianisme, conception ultra-réactionnaire, remise à la mode par les idéologues de l’impérialisme américain, est une arme aux mains de la bourgeoisie pour détourner les travailleurs de la lutte pour les revendications immédiates, pour le pain, pour le socialisme. » La naissance du 50 millionième français en 1968, est présentée comme un exploit national. Délégué de la France au Comité de la population des Nations Unies en 1974, Alfred Sauvy montre l’ambiguïté du positionnement officiel. Il plaide pour la limitation des naissances dans les pays à croissance démographique rapide ; mais pour les pays riches à structure par âge  » vieillissante « , Sauvy est partisan au contraire de l’incitation aux naissances afin de préserver une proportion suffisante de jeunes dans la population. A ceux qui arguent d’un trop-plein de population, il leur oppose que l’agression de l’environnement est moins une question de  » surnombre  » qu’une question de mode de vie. Oui, incontestablement, si tout le monde devait consommer comme un Américain moyen. Mais à l’inverse, la pratique de la diète par le Burkinabé de base pourrait offrir encore une large marge de manœuvre. Alors que dans le premier cas la population devrait décroître pour revenir à 1 milliard d’individus, elle pourrait s’élever dans le second cas jusqu’à 23 milliards ! Ce n’est pas le genre de société que désirait Malthus, qui voulait voir s’améliorer le sort des catégories défavorisées et non aligner tout le monde vers le bas.

1 réflexion sur “1798, MALTHUS contre les optimistes crédules”

  1. J’adore les James Bond, surtout les premiers, je les ai tous vus et revus. Je ne me lasse pas de les voir, c’est comme ça, des goûts et des couleurs on ne discute pas. Par contre je n’aime pas du tout les derniers, décidément tout fout le camp. Pour moi Malthus est un peu comme Chérif, ou le capitaine Marleau, Colombo aussi dans son genre. Pas de quoi en faire des héros, un peu ça va, après ça soûle. Malthus est le personnage principal d’une série qui peut durer longtemps, c’est la Loi de l’Offre et de la Demande qui décide. Quoi qu’on en dise quoi en pense, pour ou contre, commenter Malthus alimente l’audimat, j’en suis con chiant. C’est avec impatience que j’attends la saison 35, l’épisode 9875 : Malthus contre Dr No 🙂

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